Yatho, marque de l'Ombre.

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"Qui es-tu Sorcière, que me veux-tu ? Et que veux-tu à ces gens?"

Elle sourit de plus belle, et rameute sa longue chevelure de feu sur son épaule droite, découvrant l'autre, où un losange cerclé d'un croissant de lune marque le dessous de sa clavicule.

"Yatho, la marque des serviteurs de l'Ombre. C'est le Sombre qui t'envoie ?

-Tu as beau être magnifique Aslane, tu es très imbus de ta personne, le Sombre ne se doute même pas de ton existence."

Un ricanement franchit mes lèvres malgré moi.
C'est une enfant, elle n'a pas atteint les trois cent années. Elle garde en elle la présomption et l'impétuosité qu'ont les jeunes Sorcières. Ce qui est sûr, c'est qu'elle ne peut être une Corbeau de l'Ombre. Elle est trop inexpérimentée.

"Tu es venue toute seule comme une grande alors. Dis moi, maintenant que je suis là, pourquoi tu m'attendais. Je suis toute ouïe."

Ses yeux, aussi flamboyants que ses cheveux me sondent. Elle a perdu son sourire, mais sa fougue reste encrée dans son regard. Elle ne me répond pas tout de suite, pivote complètement, me tournant le dos, et se met à marcher, zigzaguant entre les corps inconscients des Malkhiris.

"Tu sais, même si je suis Sorcière et plus qu'heureuse de l'être, une partie importante du Mage que j'étais est resté accroché à mon âme, comme si je regrettais secrètement de quitter l'autre côté. C'est d'ailleurs ce qu'ils ont tous pensé. J'ai été là risée du Clos, pendant une cinquantaine d'années. Mais, j'ai pu résister."
Un moment de silence s'en suit. Avant qu'elle ne reprenne la parole:
"Tu comprends, lorsque j'étais encore du "bon côté", j'avais une partie d'ombre en moi, qui a toujours été là, cette même particularité, bien que complètement opposé, qui m'a mise à l'écart de ma congrégation. A la différence que cette part de noirceur n'apportait rien au Mage que j'étais. En revanche, faisant partie des serviteurs de l'Ombre, j'ai pu mettre à profit ma divergence."

Elle jette un coup d'œil à l'enfant le plus proche de ses jambes, un rictus mutin sur le visage.

"Le toucher à toujours été mon sens préféré, et le tien Chasseur ?"

Le fait qu'elle ne me regarde pas me montre qu'elle n'attend pas forcément de réponse. Pourtant cette air fixé sur son visage tandis qu'elle regarde l'enfant en s'accroupissant à ses côtés m'oblige à lui en donner une.

"Pour ma part, c'est la vue, trop de jolies choses à contempler dans ce bas monde.

-Et plus haut ? C'est aussi joli qu'ici ?

-Il n'y a absolument rien à contempler là bas."

Elle hausse les épaules, preuve qu'elle ne me croit pas.

Elle devrait pourtant.

Avec une caresse sur le cuir chevelu du Malkhiri elle replonge son regard dans le mien.

"Cela ne fait rien, le toucher est beaucoup plus utile de toute manière. On fait plus mal avec lui. "

Elle se trompe, les yeux peuvent voir des choses qui sont mille fois plus douloureuse que n'importe quels coups. Mais je n'ajoute rien, elle est trop jeune encore pour comprendre ce genre de chose. Et c'est une Sorcière, de surcroît au service de L'Ombre, un Clos plus particulier que les autres, c'est peu probable qu'elle expérimente cette expérience de si tôt. Les Clos on tendance à enfermer les plus jeunes, et le sien encore plus.
Je retiens l'expansion de mes pensées quand j'entends un borborygme de plainte. Je devine qu'elle vient d'envoyer une rasade de pouvoir au petit lorsqu'elle a effleuré son visage, car son corps frêle s'agite, preuve qu'il souffre.

"Que t'as apporté cette part de lumière Sorcière ?"

Elle se relève, un rictus déformant son si joli visage, puis, délassant le corps du Malkhiri secoué de tremblement, elle s'avance vers moi.

"Enfin Chasseur, tu poses une question intéressante."

Elle agite de sa main sa longue robe rouge, qui s'accorde à ses yeux et sa chevelure, ayant l'air d'y chercher quelque chose. Elle en ressort finalement un parchemin, qu'elle me tend hâtivement.
Je le saisis alors qu'elle poursuit.

"Ça va te paraître paradoxal, mais même si j'affectionne tout particulièrement le toucher, c'est la Vue que j'ai conservé. Et je peux tout voir, plus encore qu'avant."

Elle fait référence au don de voyance des Mages. C'est très rare qu'un Sorcier conserve ne serait-ce qu'un fragment de celui qu'il était avant sa "transformation", alors tout un pan est exceptionnel. D'un hochement de tête je l'invite à continuer.

"Il y a de ça deux lunes, une chose étrange et différente de mes visions habituelles m'est apparue. Ce fut la première fois qu'une simple vision me fit aussi mal. Mais comme je te l'ai dit, je suis du genre coriace et résistante. Alors j'ai pu la comprendre..."

Je ne l'écoute plus. Mon esprit est totalement happé par le parchemin déplié entre mes mains. Cela réveille trop de souvenirs. De mauvais souvenirs.

"...Je prends des risques en te l'annonçant, mon Clos n'était pas d'accord pour que je te prévienne, mais je trouve ça plus palpitant, quand une proie se sait proie."

Un ton carnassier déforme sa voix. Moi, je ne peux décrocher mes yeux de parchemin, partagé entre la rafale de souvenirs qui m'envahit, et le discours de la jeune Sorcière.

"Je n'aurais donc qu'une chose à te dire, prends garde Chasseur, le Vent te traque."

Et puis, dans un rire et sans demander son reste elle se volatilise, ramenant une atmosphère moins oppressante à la place. Sur l'estrade, tout les enfants, y compris celui violenté par la magie de la Sorcière, se réveillent de leur torpeur. Moi, je m'effondre à genoux, le parchemin serré contre ma poitrine, me demandant à moi même si je me relèverait un jour.

Valahar, Les Serres Maudites.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant