La nouvelle

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J'éteins la télé. Je pose la télécommande sur la table basse devant moi et je regarde l'écran noir. Voilà, maintenant c'est sûr. Ils le disaient ce matin à la radio et maintenant à la télé.

Les scientifiques sont formels, et apparemment les prédictions de toutes sciences confondues n'ont jamais atteint ce degré de précision auparavant. Il reste environ une chance sur trois milliard deux cent cinquante quatre millions trois cents soixante dix mille quarante sept à la puissance douze. C'est vraiment pas grand chose.

La voilà la nouvelle, vraisemblablement, le temps va s'arrêter. Tout simplement. Et bientôt en plus ! Demain, à précisément dix sept-heure vingt deux, heure de Greenwich.

Il fallait que ça m'arrive à moi, dans cette vie, dans cet univers. C'est vraiment pas de chance quand on y pense. Si ça se trouve il y a un autre moi, dans un autre univers, pour qui le temps ne va pas s'arrêter. Quelle drôle d'idée quand on pense quand même. Le temps, s'arrêter. C'est vrai que tout le monde en parlait, mais personne n'y croyait vraiment.

Bon et bien il ne reste plus qu'à s'y préparer. Mais quoi préparer ? Ce n'est même pas la mort, après, il ne se passera plus rien, littéralement : plus rien ne passera, même plus le temps. Et puis pourquoi ne pas vivre ce dernier temps comme s'il était normal ? Ce serait faire preuve d'originalité au moins.

Non, je ne vais pas me préparer finalement. Advienne que pourra, ou justement pas.

La soirée s'entame, le soleil se couche et le chien aboie dans la rue. J'attrape un vieux livre sur mon étagère et je l'ouvre au hasard. Non, les visites d'Hadrien à Lugdunum ne vont m'avancer à rien, alors je recommence, avec un autre livre. Pendant une heure je prends puis repose, déçu, des livres de ma bibliothèque.

Peut-être qu'un livre de physique théorique serait plus utile pour essayer de trouver une façon d'y remédier. Mais je n'ai jamais vraiment aimé les sciences. Des gens qui s'agitent autour de tableau portant des formules obscures et s'efforçant de leur donner une signification alors qu'il est évident qu'elles n'en n'ont pas. Je suis un peu dur. La science a, paraît-il, prédit un certain nombre de phénomènes. À finir par celui demain.

Je continue encore une heure, peut-être plus, à agiter inutilement mes livres sans but ni succès.

Je me fais ensuite une tisane et comme j'ai oublié de reposer le dernier livre, je l'emporte dans ma chambre pour le lire jusqu'à la fin. Je m'endors finalement après quelques pages et je me réveille le lendemain avec un doux ruisseau de lumière du soleil qui se déverse dans mon œil et dehors le mélodieux son du camion poubelle qui klaxonne sauvagement une voiture mal garée, la mienne. Je sors doucement de mon lit encore bercé par la sonate des éboueurs et sors bouger le véhicule gênant en robe de chambre. Tiens, c'est étonnant que les éboueurs passent le jour de la fin du temps. Une fois rentré, je regarde l'heure, il est encore tôt, alors je vais me doucher, me préparer et une fois que je suis prêt à aller travailler, comme je n'ai rien à faire, je m'assoie sur les marches qui descendent de ma porte d'entrée. Le chien des voisins s'est enfin tu depuis hier soir, ça veut dire qu'ils sont partis au travail, eux. Je compte les voitures qui passent devant chez moi et quand j'en ai compté presque deux, il est l'heure que je parte travailler.

Dans la voiture, j'allume la radio. Tout va bien, le temps a toujours l'air de vouloir s'arrêter ce soir, et les précisions montent, les nombres sont maintenant trop gros pour être dits à la radio. On dirait qu'il sera à l'heure en plus ! Toutes sortes d'inutilités rythment mon trajet jusqu'à mon travail.

Il est seize heures treize quand j'en sors enfin. Seize heures quarante-quatre quand je rentre chez moi. J'ai battu un record de vitesse aujourd'hui. Un que j'avais déjà battu, de nombreuses fois et depuis longtemps certes, mais tout de même.

J'allume la télé, les émissions habituelles ont été remplacées sur toutes les chaînes par des émissions fin du monde avec un compte à rebours. Dommage, je préférais l'émission de d'habitude. Je laisse la télé éblouir le canapé pendant que je vais me chercher de quoi casser la croûte. Du fromage, de la confiture, du beurre mais plus de pain. Et si tard avant la fin, il y a peu de chance que j'en trouve. Tant pis. J'ai faim. Il reste une pomme de terre au frigo alors je la coupe en tranches et la passe au grille-pain. Elle tient le coup, ouf. Une fois mes tartines mangées, il est dix-sept heures dix-huit. Plus que quatre minutes. Je suis sur le canapé et les présentateurs sont insupportables. Je les fais disparaître. Je regarde mon téléphone, il est vingt et une. Puis vingt-deux. Voilà c'est la fin. Ah ben non. Vingt-trois, ah ! Le temps n'est pas à l'heure. Le chien commence à aboyer. Vingt-cinq. Un énorme BOUM. Je me lève, c'est la maison des voisins, partie en fumée, une météorite on dirait. Le chien et les voisins ressortent du tas fumant de décombres, un bocal avec un poisson rouge à la main pour la petite et de la porcelaine pour la mère. Quelle chance !

Le temps qui courtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant