La limite

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Le soleil vient de se coucher et l'ombre du potager disparaît. Je me dirige vers le tas des voisins. Quand j'enjambe la clôture absente, je lève les yeux vers le ciel :

« Tiens la Lune est toute petite aujourd'hui. ». Inquiet, Jason lance un regard vers haut et me réponds, « Non, ça c'est mars ». Je me disais bien aussi. Je le regarde trébucher sur le fantôme de la palissade. Quand il se relève il ajoute « Par contre elle semble plus grosse que d'habitude ».

Arrivé devant le tas de décombres, je ne sais pas trop quoi faire. Une porte gît par terre. Je toque. Sans succès. Jason me regarde, il a cette expression sur le visage que les gens ont quand ils ressente quelque chose de fort. Je commence à contourner l'amas, puis après un tour ou deux, je décide de grimper dessus. Ils ne sont vraisemblablement pas là. Je cherche la boîte aux lettres, mais le voisin d'en face semble visiblement vouloir la conserver. Soit disant qu'elle serait à présent l'élément qui permet à sa maison de ne pas s'effondrer. Je ne suis pas architecte mais je crois bien qu'il s'est fait avoir par le sien. Jason semble être sur pause. Il regarde mars, ou la lune, je ne suis toujours pas bien sûr. « Elle s'approche, non ?!, dit-il l'air alarmé.

– C'est une planète, ça ne bouge pas. Ça serait rapidement le bazar si tout ce qu'il y avait dans le ciel bougeait ! Imagine !

– Ça, j'imagine très très bien.

– J'ai une idée, tiens moi ça » lui dit-je en lui tendant la nourriture pour poissons. Je m'accroupis et commence à faire un tas avec les débris. Une fois qu'il culmine à vingt centimètres de haut, j'en aplati le sommet et reprend le sachet de nourriture pour l'y déposer. « Là, ils le trouveront facilement ! ». À moins d'un mètre de là, Jason s'était assis sur un des nombreux tas à hauteur d'homme et il me regardait. Fier de mon travail, je me dirige vers mon jardin et observe avec satisfaction le vide de dépendance qu'il contient.

En passant devant mon potager, je l'inspecte afin de savoir de quoi il est rempli. Citrouilles, tomates, sûrement des carottes et des pommes de terres mais je ne vois que ce qui dépasse de la terre et cela pourrait tout aussi bien être de la salade.

Je décide de rentrer à la maison maintenant. Quand j'ouvre la porte, je surprend la télé à être encore éteinte. J'y remédie en m'installant sur le sofa. Tiens, c'est les infos ! J'écoute la présentatrice qui annonce qu'un scientifique de dans quelques décennies est venu nous apporter la technologie du voyage dans le temps. « Ah tiens donc ! C'est pratique ça ! » Annonce Jason en s'installant, lui aussi, sur le canapé. Suivent à cette nouvelle d'autres informations inutiles sur les gouvernements mondiaux et les alliances militaires actuelles en train de s'échanger à coup de supposées 'indications des guerres déclenchées dans le futur' données par le scientifique. Après une heure, c'est encore les informations, riche journée ! Jason me regarde et me dit « Tu ne veux pas changer de chaîne ? Les infos en continus c'est pas très intéressants. Surtout au bout de cinq fois la même chose. » . Je ne réagis pas. Il saisit le télécommande et fait ce qu'il demandait. Un documentaire animalier sur l'hibernation des hannetons en polonais sous-titré arabe, je savais pas que j'avais cette chaîne. Il se tourne vers moi après avoir reposé la télécommande sur la table basse. « Aujourd'hui, ils ont réussi a transporter des atomes et des molécules chimiques entiers plus rapidement que la lumière ! » m'expose-t-il avec un ton enjoué que, à son expression, je ne semble pas comprendre. « C'est maintenant bien au-delà de l'erreur de mesure, c'est certain, la vitesse de la lumière n'est pas une limite.

– Ben non.

– Toutes les lois affirment le contraire, c'est une des bases de la physique moderne !

– Quand, sur l'autoroute, la loi affirme que je ne peut pas rouler à plus de 130 kilomètre par heure, pourtant en accélérant assez, j'y arrive facilement. C'est pareil. Une loi c'est pas inviolable, c'est du bon sens. » Il se tourne vers l'écran en poussant un soupir. De soulagement, j'imagine. Ça doit faire bizarre de réaliser ça.

Le lendemain matin, je me lève, et quand je descend dans ma cuisine, tout est prêt. Tout semble prêt pour quelque chose. Quelque chose d'important, vu que d'habitude, je ne suis jamais prêt. Encore moins alors que je viens de me lever et de descendre dans ma cuisine. Je me prépare un petit déjeuner, comme tous les samedi matins, mais j'ai cette désagréable impression que je devrais faire autre chose. Ce pour quoi tout est prêt par exemple. Mais je ne sais pas de quoi il s'agit, alors je vais chercher le journal dans ma boite aux lettres. Le jardin aussi semble prêt. Non, ça, ça n'a aucun sens, je crois que j'extrapole. Après avoir récupéré mon numéro spécial week-end du Monde, je retourne à l'intérieur. Oui, c'était bien ça. L'intérieur est prêt, mais pas l'extérieur. Ce qui est bien avec le Monde maintenant, c'est que le week-end, il y a un dossier culture qui allume très bien la cheminée. De plus, pour regagner en popularité, la deuxième moitié du journal est composée exclusivement de mots croisés, et de courtes bandes-dessinées. Une fois mon café au lait bu et mes tartines avalées, je repose le journal dans la corbeille à papier et vais m'installer sur le canapé.

Je suis vraiment pas prêt, je me dis.

Le temps qui courtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant