L'incertitude

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Je retourne sur le canapé mais je n'allume pas la télé.
La porte d'entrée s'ouvre. Je la regarde faire, incrédule. « Salut ! Bonne journée ? Le temps continue finalement on dirait ! » Je dévisage mon interlocuteur. Sa tête m'est vaguement familière, mais je ne le reconnais pas. Il semble à l'aise, il pense me connaître. Je persiste à chercher d'où je le connais, sans succès. Il attend une réponse maintenant. « Qui êtes-vous ? » je lui demande. À son air étonné, il ne s'y attendait pas. « Jason, je loue la dépendance depuis maintenant trois ans.» Ah oui c'est ça. Je ne suis pas très attentif en ce moment décidément. « Ah oui pardon.

– Le soucis, c'est que » dit-il en enlevant ses chaussures et en s'installant, à côté de moi sur le canapé d'une manière détendue, et me regardant d'un air de quelqu'un qui veut vous expliquer pourquoi il fait ce qu'il est en train de faire sous vos yeux « il n'y a plus de dépendance. ». Après un instant, il reprend « La météorite l'a complètement soufflée. Tiens, par exemple, mon canapé à moi, m'a grillé la priorité à droite quand je rentrai, pour aller s'enfoncer dans la maison des voisins d'en face. » Il tend la main pour attraper la télécommande mais en voyant le regard que je lui jette, il se ravise. « Du coup, je me suis dit que j'allais m'installer ici, au moins le temps que je trouve ailleurs pour habiter, ou que la dépendance soit réparée ». Il y avait comme un soupçon d'ordre, de conseil dans sa voix, je lui réponds « Je ne l'aimais pas cette dépendance, c'est mieux comme ça. Ma grand-mère est morte dedans, c'était bizarre ». Lorsqu'il m'avait demandé s'il pouvait louer ma dépendance, je lui avais raconté que mon grand-père avait enfermé sa femme dans la dépendance pour se venger de ce qu'elle lui faisait subir au quotidien et qu'elle y était morte. La vérité était un peu différente, c'était l'été et c'est une période de sécheresse. Il avait, sans faire exprès, enfermé sa femme à l'intérieur et lorsqu'il était allé chercher les clefs, il avait fait une crise cardiaque. Il était mort et sa femme est morte de soif dans la dépendance. Une histoire bête. Mais celle que j'avais racontée n'avait pas réussi à le décourager de s'installer là. En entendant la version que je lui avais servie, il avait proposé de payer un plus gros loyer. À mon avis, ce Jason est complètement stupide.

Le reste de la soirée se passe tranquillement, il décide de faire à manger pendant que je lis un livre, sans vraiment faire attention auquel. Je vais ensuite me coucher et lui, s'installe sur le canapé.

Le lendemain, je rentre du travail et me rassis sur le canapé. Alors que je me penche pour attraper la télécommande, il rentre comme la veille. Bonjour, blablabla, bonne journée, blablabla, le temps ne s'est toujours pas arrêté, blablabla, et il finit par s'asseoir sur le canapé aussi. Il avait sorti son téléphone et il l'avait posé sur la table basse. Il fait un angle tout à fait inintéressant avec la télécommande. Il sort de son sac à dos quelques feuilles de papier imprimées et se met à les lire. Il s'agit vraisemblablement d'un article qui porte sur l'arrêt, raté, du temps, puisque le titre en était : Time stop uncertainty and physics violations unprobability. Il lève les yeux vers moi avec un regard vide d'incompréhension. « Ils ne sont pas sûrs que le temps ne se soit pas arrêté... C'est une blague ? » En effet, cela ne peut être qu'une blague, parce que, là, le temps n'est manifestement pas arrêté. « C'est pourtant une revue tout ce qu'il y a de plus sérieux ! » me dit-il. « Mais selon eux, c'est la seule explication à ce qu'ils observent. » Cela semble clair, sauf que je ne sais pas du tout de quoi il parle, je le regarde avec des yeux ronds en montrant bien que, certainement il a raison mais que je lui fais confiance là-dessus. « Tu n'en as pas entendu parler ? À la radio ou à la télé ?

– Je viens de rentrer et je n'ai pas eu le temps d'attraper la télécommande. Lui dis-je.

– Et bien, visiblement, les lois de la physique ne marchent plus depuis hier. Ils auraient observé des particules qui avancent bien plus vite que la vitesse de la lumière, les satellites en orbite ne semblent plus vouloir y rester, il paraît même que quelqu'un aurait voyagé dans le temps sans le faire exprès ! Mais ça, ça reste à voir. Plus aucune des expériences qui sont réalisées sur la planète ne semble donner les mêmes résultats qu'il y a deux jours.

– Ah, ça explique peut-être le fait que ce matin, il fallait que je fasse le plein et que ce soir mon réservoir était plein ?

– Oui, ce genre de choses !

– Mais j'ai fait le plein à midi.

– Ah », dit-il, l'air vraisemblablement déçu.

« Je vais aller voir les voisins, j'ai retrouvé de la nourriture pour poissons rouges dans la cheminée, ça les intéressera sûrement. » lui dis-je alors qu'il enlevait ses chaussures. Il se mit alors à les remettre. J'attrape la boîte de nourriture pour poissons, c'est bizarre, il y a un chat dessus. Je sors de la maison et il me suit. Pendant ce temps, devant le canapé et la table basse, la télé reste éteinte. Dehors, j'en profite pour admirer le potager de mon jardin. Lequel n'était pas là il y a deux jours d'ailleurs. Il y a des tomates et des citrouilles bonnes à être ramassées, étrange pour la saison, quoi que en fait, je n'y connais rien.

Le temps qui courtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant