On est devant le petit leclerc du coin. On l'a choisi parce que ça n'est pas un magasin indépendant, mais une entreprise d'état. Younes m'a bien précisé que "on ne lèse que l'État et les riches". Ça me convient, tant que "on lèse" quelqu'un.
On passe toute la matinée à se faire remarquer dans le magasin. J'ai l'habitude, et Younes est naturel grâce à la scène dont il a l'habitude. Au bout de deux heures, on a repéré chaque caméra, les angles morts, Younes a fait un rapide calcul pour savoir combien ils ont en fin de journée dans les caisses. Il y en a deux, tout le reste est géré derrière la petite porte "réservée au personnel" composé de "Léonie", "Samuel" et la chef de magasin "Solange" selon leurs petites étiquettes.
Juste derrière, il y a une petite rue et on s'est installés sous un porche, à 18h30, juste après la fermeture. Avec son ordinateur, il a pénétré le réseau du magasin, puis craqué un par un les codes, il a aussitôt désactivé les caméras (tout le manège de ce matin n'aura donc servi à rien) et on est entrés, parce que je connais la technique de l'épingle à nourrice qu'on voit dans les films et que la porte de derrière n'avait pas de serrure sophistiquée. Je me suis entraîné, gamin, j'ai tellement eu l'occasion d'ouvrir des portes verrouillées... Mais c'est une autre histoire, que j'ai oubliée.
On est entrés, en pleine soirée dans une rue un peu fréquentée, mais tout le monde a du croire qu'on avait oublié quelque chose. J'ai remarqué depuis longtemps que l'espèce humaine recherche la solution la plus probable pour ne pas avoir à réfléchir en dehors des sentiers battus. J'ai lu un reportage sur un beau-père qui a violé ses beaux-enfants sous le même toit que la mère qui n'a jamais rien voulu voir... jusqu'à ce qu'une de ses ados se suicide.
En fait, cette ado était dans mon collège, et son histoire avait fait le tour de l'établissement. Et à qui s'en est prise l'opinion publique ? A la mère, qui n'a jamais su voir l'horreur qui se passait dans sa propre maison. J'ai horreur des gens, de la vie, de la société, des fleurs que je n'ai jamais osé aller déposer sur le paillasson vermeil de l'entrée de leur maison. Vermeil, ce soir-là, cette année-là...
Je reviens au moment présent, You me regarde. Avant que je n'aie le temps de me ressaisir, il m'enlace, m'embrasse la nuque et chuchote :
-Tu es tellement beau quand tu es vivant.
J'ai un mouvement de recul, on ne lit dans les pensées des gens que quand on est superman.
Puis je décide d'accepter cette possibilité. J'ai une très grande capacité d'adaptation, parmi mes multiples qualités. Je sors la clé passe-partout que j'ai volée il y a longtemps à un facteur à l'orgasme facile, mais Younes m'interrompt : c'est depuis l'ordinateur de la caisse qu'on peut déverrouiller le tiroir. Ah bon.
Mais au moment où il allume l'ordinateur, une alarme se met à sonner. Le genre d'alarme que t'entends même si t'es un passant pas très curieux.
-Merde.
On n'avait pas pensé à ça.
En quelques secondes, on est parti, casquette sur la tête, on se dirige vers notre hôtel. L'adrénaline descend rapidement quand je vois qu'on n'est pas suivis, je suis déçu mais je ne dis rien. On récupère les sacs, on s'en va, Maria de l'accueil nous dévisage mal jusqu'à ce que You lui passe un pourboire.
-Pour l'accueil chaleureux, gracias, dit-il.
On prend un taxi, 20 minutes, on est dans un autre quartier, hôtel ibis, je grince des dents. Il croise mon regard.
-Ça part vite, l'argent.
On rentre dans l'hôtel et je me demande si je le laisse me baiser une dernière fois avant de lui dire que je m'en vais. Il retire son jean à peine les valises posées. J'ai ma réponse.

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Gentlemen (BxB) -En pause
RomanceMoi, c'est Dylan. Mon nom et mon corps sont sur toutes les lèvres. Et il y a Younes, le genre de mec trop sage mais utile. Et super bon coup, accessoirement. Il croit qu'il me canalise, mais c'est moi qui le désordonne. J'étais complètement cinglé a...