Prologue - Pousser des cris de paroles à sens unique,

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Janvier 2017, Upper West Side,
à Manhattan.
Aux alentours de seize heures.



Bip...

Première pulsation violente.

Bip...

Trente pulsations incontrôlées.

Bip...

Cent pulsations anormales par minute.



« — Euh... Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur d'Hidden. Puisque je ne peux pas répondre à votre appel, laissez un message et je vous rappellerai ! »

Un instant de paralysie, comme si mon cœur s'arrêtait. Mon souffle se fige, mes mains tremblent sans fin, une douleur immense me submerge, ravivant cruellement l'écho d'une voix masculine qui s'efface peu à peu avec le temps.

Ma gorge se serre sous le poids des larmes refusant de couler. Pourtant, je dois parler, libérer ces mots qui pèsent si lourd.

« — Mhm...
Ne t'inquiète pas, c'est le dernier appel.
Je pars.

Je sais, tu dois penser que j'insiste trop, que j'en fais trop à vouloir t'entendre une fois de plus. Mais honnêtement, je me fiche de ce que tu penses. Tu dois comprendre que ce n'est pas vraiment de ma faute. C'est mon cœur. Il est brisé, ébréché, piétiné... par toi. Tu m'as détruite, Hidden. Ma vie, mes rêves, mes ambitions, même mon âme... tout est en ruines. Ce qui est ironique, c'est que tu ne voulais sans doute pas que tout ça arrive.

Je n'arrive pas à te dire adieu. Il y a toujours quelque chose, un détail qui me ramène à toi. Parfois, je crois lire ton prénom dans mes notifications, je sens encore ton odeur dans la salle de bain, sur les draps... partout dans notre appartement. Et pour ça, je continue de t'appeler, espérant entendre ta voix, celle qui passait de rauque à douce, d'éraillée à envoûtante selon ton humeur. Aujourd'hui, tout ce qu'il reste de toi, c'est ce message, ce répondeur qui fait battre mon cœur à toute allure.

C'était si facile pour toi de dire au revoir. Comme si tu ne ressentais rien. Un bonhomme de neige, c'est l'image que tu m'as laissée. Peut-être que c'était ton plan, me pousser à te haïr ? Peu importe... En une seule journée, tu as tout anéanti : notre avenir, nos promesses, mes espoirs. »

Leaves prend une grande respiration, essayant de contenir son chagrin, d'adopter un ton plus posé.

« — Les quelques amies que j'avais au départ m'avaient prévenue. Elles m'ont dit que l'amour fait souffrir, qu'il peut être à la fois un baume pour l'âme et un poison. J'avais vu leur douleur, leur peine... Je savais que ça pouvait arriver. C'est pour ça que je me suis toujours protégée, toujours tenue à l'écart. Mais avec toi, je n'ai pas pu. Je t'ai tout donné. Mon cœur, mon être. À cet instant-là, tu n'avais plus le droit de partir. »

Le bip retentit, signalant que le temps de l'appel est écoulé, mais elle ne peut pas s'arrêter. Même lorsque la ligne est coupée, elle continue de parler, comme si les mots devaient encore sortir.

« — Hidden... Tu m'avais promis. Tu m'avais dit que tu étais plus fort que cette foutue maladie. Était-ce juste pour me rassurer ? Tu savais que tu ne t'en sortirais pas, n'est-ce pas ? Et moi, idiote que j'étais, je t'ai cru. Chaque jour, tu souffrais en silence, m'offrant un sourire qui n'était qu'un masque. Comment ai-je pu être aussi aveugle ? Je ne sais même plus si je dois te haïr ou simplement mourir à mon tour. »

Les larmes roulent désormais sur ses joues sans qu'elle ne puisse les retenir. Ses mains tremblent, mais elle continue.

« — Quand tu es parti, tu as emporté une partie de moi. Je ne me sens plus vivante. En réalité, je ne sais même plus ce que je fais. Je dois être folle, non ? Je continue de t'appeler, encore et encore, même si je sais que tu ne répondras jamais. J'ai tellement de choses à te dire, mais si peu de temps pour le faire.

J'aurais voulu partager ta douleur, comme toi tu as toujours partagé les miennes. J'aurais voulu porter ta maladie, t'épargner tout ce calvaire. Et maintenant, j'ai tellement de regrets... J'aurais aimé que tu saches... Que tu saches que j'attends un enfant. »

Elle baisse les yeux, caressant doucement son ventre, submergée par une tristesse infinie.

« — Qu'est-ce que je vais dire à notre enfant quand il me demandera "maman, où est papa ?" Je ne saurais même pas quoi lui répondre. Je ne te pardonne pas, Hidden, mais... je ne ressens plus rien, de toute façon. Tu as emporté avec toi ma joie, ma lumière. Ce monde me semble désormais si noir, si étranger... si vaste. Ni toi ni moi ne méritions ce qui est arrivé.

Tout ce que je souhaite, c'est que notre enfant te ressemble. Que je voie en lui la beauté de ta personnalité. Mais ton prénom... « Hidden »... il signifiait « caché ». J'aurais dû me méfier. Tu ne m'as jamais tout dit. J'ai même pensé donner ton prénom à notre enfant, mais j'en suis incapable. J'ai peur que, comme toi, il me cache lui aussi des vérités douloureuses. »

Elle soupire longuement, épuisée par le poids de son chagrin.

« — Je sais que je ne t'oublierai jamais. C'est impossible. Tu as marqué ma vie à jamais. Mais cet appel... c'est le dernier. Je n'en peux plus. Je suis fatiguée de parler dans le vide, fatiguée de répéter des choses que je ne pense plus.

Bref... Je t'aime, et ça me tue. Alors je pars. Je ne sais pas où, mais je dois fuir cette ville, ces souvenirs qui me hantent. »

Leaves sort de la cabine téléphonique, essuyant ses larmes d'un geste rapide avant de fourrer ses mains dans les poches de son manteau noir. Puis elle s'éloigne, marchant vers un avenir encore incertain, mais loin de ce passé qui la hante.









• La métaphore du bonhomme de neige* : Si l'on devait analyser un bonhomme de neige, on conclurait qu'il ne peut rien ressentir, ni émotions, ni blessures. En utilisant cette métaphore, j'exprime l'idée que, à ce moment-là, Hidden semblait complètement dépourvu de tout sentiment, vide. Je pourrais choisir une autre comparaison, mais je préfère celle-ci, car elle est originale.

1,16 Fois Par Seconde.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant