Chapitre 2 - Jungkook

98 8 5
                                    


« I was afraid

I said I'd show them all, but I was afraid of proving myself [...]

I was afraid I'd stand asymmetrical to the world's expectations

In case I betray all those who had faith in me »

Born singer, BTS


C'est le début de la soirée lorsque je me réveille. Arrivé en pleine nuit depuis Busan, la première chose que j'ai faite après avoir vidé mon sac à dos de l'armée, a été de prendre une douche et d'ensuite m'écrouler sur mon lit. Je n'ai même pas pris le temps d'ouvrir les rideaux de la maison que louent mes parents pour moi à Séoul. J'y suis entré comme un voleur, pour finir par m'endormir parmi les ombres. Une ombre, ça me définit bien. Elle est là, en permanence, pourtant personne n'y fait jamais attention. Et de l'attention, c'est ce que je suis venu chercher ici.

Complètement fou.

J'ai tout lâché pour poursuivre un rêve inaccessible. Moi, le garçon timide et effacé de dix-huit ans, j'ai tout quitté pour devenir une star. Risible. D'ailleurs, c'est parce que mes rares amis en ont ri, que j'ai coupé les ponts avec eux avant de partir. Je n'ai pas besoin de boulets aux pieds qui me rattachent durement au sol. J'ai besoin d'ailes pour m'envoler vers les étoiles. Et je vais les gagner, plume après plume.

Je me lève et me dirige vers la baie vitrée qui occupe tout un pan de la chambre. J'écarte les tentures, laissant le soleil déclinant inonder la pièce. Ma tête part vers l'arrière et j'inspire profondément, fermant les yeux. C'est le début d'une nouvelle vie. C'est maintenant ou jamais. Si j'échoue, j'aurais trop honte pour rentrer chez moi. Je n'ai droit qu'à une chance, qu'à cette audition qui aura lieu à la fin de l'été. Il faut que je réussisse. Je suis né pour être un chanteur. Les notes coulent dans mes veines, dans mon sang. Je suis prêt à y mettre chacune des gouttes de mes larmes et de ma sueur, mais j'y arriverai. Il n'y a pas d'alternative.

La chaleur de cette fin de journée caresse la peau nue de mon torse, s'infiltrant sous mon épiderme. Je me laisse bercer par les rayons du soleil un instant, ne voulant pas encore entrer dans cette nouvelle réalité qui se dessine devant moi. J'ai peur. Ça, je ne l'ai dit à personne. Mais j'ai peur. De me retrouver seul surtout. Je ne suis pas quelqu'un de très sociable, de base. J'ai de grosses difficultés à comprendre les gens, à savoir comment me situer par rapport à eux, comment agir, comment me conduire. Je suis totalement perdu quand je suis face à quelqu'un que je ne connais pas. Je me fige. Je panique. J'oublie qui je suis, pour ne plus penser qu'à qui je devrais être pour me faire un ami... Pathétique.

Je relève mes paupières lentement et, de l'autre côté des vitres, je croise le regard d'un inconnu. Pénétrant. Je cligne des yeux, essayant de me concentrer sur ce que je vois.

Je rêve, c'est ça ?

L'homme qui me fixe, il a l'air si proche et si lointain en même temps. Il me trouble, immobile. Je le détaille sans pouvoir m'en empêcher. Il a les cheveux teint d'un châtain clair. Ils sont ébouriffés, comme s'il avait passé des heures à passer ses doigts entre les mèches qui lui tombent sur le front, attirant mes yeux vers les siens. Ils sont d'un marron profond, qui semble vous aspirer. Son nez légèrement rond surmonte des lèvres roses, ourlées. Des lèvres qu'on a envie d'embrasser.

Son corps est caché derrière un jean serré, d'un bleu clair, déchiré à plusieurs endroits. Une chemise blanche, large et lâche, est sur le point de glisser de son épaule gauche. Son style est nonchalant, presque intouchable. Toutefois, ses yeux... Ses yeux sont en totale contradiction avec l'attitude qu'il dégage, même en ne bougeant pas d'un cil. Ils me disent que cet homme-là est plus sombre que son apparence légère et éthérée ne le laisse supposer. Il est dangereux.

Presque comme s'il avait suivi le cours de mes pensées, il me sourit. D'un sourire en coin qui me fait l'effet d'un coup de poing au ventre. Je réalise alors que la réaction que ce demi-sourire provoque chez moi ne sera pas longtemps occultée par le tissu de mon pantalon de pyjama. J'inspire brusquement, ne remarquant qu'au dernier moment, celui où il ferme les rideaux de son côté du balcon, que ce sont des traces de larmes qui avaient rougi ses joues.

Que lui est-il arrivé ?

Je secoue la tête, tentant d'en évacuer l'hallucination que je viens d'avoir. Mais plus j'observe l'espace entre nos deux maisons, celui occupé par ce balcon unique, et plus je me dis que je n'ai pas inventé mon voisin d'à côté. Il est réel. Et l'arrêt subit de la course de mon cœur qu'il a provoqué, tout autant.

Qu'est-ce que ça veut dire ?

Jusqu'ici, je n'ai jamais eu une telle réaction. Physique et immédiate, envers quelqu'un d'autre. Jamais. On m'a toujours qualifié de froid, de distant, d'inaccessible. Une armure. Personne n'a cherché à la défaire pour voir ce qui se cachait en-dessous. Est-ce que lui le ferait ? Bon sang, je ne peux commencer à me poser ce genre de questions ! Je suis là, car j'ai un objectif, et un seul : devenir une idole. Rien ne doit se mettre en travers de ma route, et je ne dois rien laisser me distraire. Pas même un voisin aussi magnifique que sexy, juste entraperçu.

Attends, sexy ?

— Tu perds la tête, Kookie.

Je finis par me détourner de la baie vitrée et me rends dans la salle de bain afin de me rafraîchir. Il est temps d'aller faire quelques courses avant que je ne meure de faim. Cela me donnera l'occasion d'explorer un peu plus les environs, chose que je n'ai pas pu faire auparavant. Je n'ai vu la maison que virtuellement, sur Naver. Rien de plus. Je l'ai découverte cette nuit, à la lumière des néons. Petite, environ 50m2, elle comporte cette grande chambre à l'étage, avec sa salle de bain attenante, et un petit espace cuisine/salon/salle à manger au rez-de-chaussée. L'essentiel. Tout ce dont j'ai besoin.

C'est assez rustique niveau construction, puisque je suis dans les quartiers résidentiels excentrés. Cependant, mes parents l'ont meublé avec un minimum de goût. Ma mère me connaît bien. Tous les meubles sont noirs, même les couvertures de mon lit. La peinture alterne entre les teintes de blanc, de gris et de bleu. Un univers sobre, qui ne révèle rien sur celui qui y évolue. Parfait. Le vrai moi doit rester encore un peu à l'abri. Juste un peu. Et, une fois que je serai entré dans la légende, là je pourrais enfin être moi. Enfin.

Après m'être lavé et habillé, je ressors de la salle de bain, incapable de ne pas laisser mon regard dériver vers les fenêtres. Les rideaux de l'autre côté demeurent obstinément fermés. Je soupire sans pouvoir me retenir. Une chose est sûre, mon voisin n'est pas du genre à vous laisser une première impression fade et sans saveur. Au contraire. Il m'a déjà marqué. Ça ne devrait pas être possible. Dix secondes à tout casser. Et je sais que je ne les oublierai pas, ces secondes passées à le contempler. Sans un mot, il m'a parlé. Simplement à travers ses yeux si expressifs. Je me demande ce qu'ils pourraient me raconter d'autre, si nous en avions l'occasion...

— Ce qui n'arrivera pas.

Ma passion est tout ce qui compte. Pas le soudain soubresaut de mon cœur. Ce n'était qu'une illusion. Il n'a pas une fois réagi de la sorte auparavant, mais ça ne veut probablement rien dire.

Avant de m'enfoncer dans des élucubrations qui ne me feront pas avancer, j'attrape le sweat que j'ai balancé sur le sol la nuit dernière et l'enfile par-dessus mont-shirt. En descendant au rez-de-chaussée, je place les écouteurs de mon téléphone dans mes oreilles et lance une playlist. Les chansons de Troye Sivan s'élèvent et leurs notes s'enroulent autour de moi, une à une. Je me sens à nouveau apaisé, en phase avec moi-même et avec ce que je veux. Et si, au fond de moi, je désire quelque chose que je ne peux pas avoir, personne ne le saura jamais.


TrappedWhere stories live. Discover now