Trapped

Chapitre 3 - Taehyung

« I want to breathe, I hate this night

I want to wake up, I hate this dream

I'm trapped inside of myself and I'm dead

Don't wanna be lonely »

Save Me, BTS

Je déteste les nuits, surtout celles que je passe seul.

Je déteste dormir sans personne à côté de moi pour chasser mes démons.

Je déteste devoir fermer les yeux et affronter tous ces cauchemars qui rôdent sous mon lit, et qui finissent invariablement par me rattraper.

Je déteste ne pas pouvoir me réveiller !

Je resserre mon étreinte autour de l'oreiller qui me sert de bouclier contre les souvenirs et les coups. Je n'ai jamais rien dit à ce sujet à ma grand-mère. Mais je crois qu'elle a toujours su. Depuis que je suis tout petit, on s'en prend à moi. J'ai pris le pli. J'ai appris à me défendre. J'encaisse moins depuis que je suis devenu plus grand que mes agresseurs. Cependant, les mots, les regards, eux m'atteignent chaque fois.

Égratigné, rogné, j'ai souvent l'impression d'être incomplet. Il me manque quelque chose, sans que je sache quoi. J'ai cherché. En moi. En d'autres. Je n'ai pas trouvé. Alors, je continue de souffrir en silence, de me recroqueviller dans cette coquille que j'ai créée de toutes pièces pour me protéger. Cette douleur qui s'est implantée à l'intérieur ne me quitte pas. Elle est là constamment, à me narguer.

« Tu ne te débarrasseras jamais de moi. »

Après aujourd'hui, les choses ne vont faire qu'empirer. Mes amis vont me tourner le dos. Mes professeurs vont me regarder de haut, les sourcils froncés de désapprobation. Je vais vivre un enfer. Par ma faute.

J'avais plus ou moins réussi à m'intégrer ces deux dernières années, depuis mon arrivée à Séoul. Le petit fermier devenu étudiant en Arts. Ma rencontre avec Jimin en première année y a été pour beaucoup. Lui et moi, nous avons connectés dès le premier jour. On ne s'est plus quittés depuis. Il me connaît. Il ne sait pas tout, mais il en a deviné une grande partie. Je peux cacher beaucoup de choses, pas les cicatrices que j'ai sur le corps.

Je tressaille, remontant la couverture sur moi. Mes yeux fixent le vide autour de moi. Tout ce noir... Pourquoi est-ce que j'ai si peur ?

J'aimerais que quelqu'un me tende sa main et saisisse la mienne. Qu'il ne la lâche plus. Qu'il reste avec moi. Qu'il me sauve.

Commence par te sauver toi-même.

Ma grand-mère m'a appris l'indépendance. Elle m'a appris à être fort, à ne pas baisser la tête et à continuer d'avancer, quoi qu'il arrive. Elle me disait de ne compter que sur moi-même pour m'en sortir.

« Si tu ne prends pas soin de toi en premier lieu, comment peux-tu t'attendre à ce que quelqu'un te chérisse plus tard ? »

J'essaie de suivre ses conseils. Cependant, il y a des nuits comme aujourd'hui où c'est dur, beaucoup trop dur. Je renifle, sentant à nouveau des larmes se mettre à marbrer mes joues.

Je me déteste d'être si faible.

Je me déteste de ne pas pouvoir être plus fort que ça, que ce qui me hante.

Je me déteste d'être moi, ce mec minable qui s'en prend plein la gueule dès qu'il fait un pas dehors.

Je me déteste de vouloir que quelqu'un m'aime. Je n'y ai pas le droit. Pas après ce que j'ai fait, ce qui s'est passé. Non, je n'y ai pas le droit.

Alors, pourquoi tu ne renonces pas ?

Minjae n'était pas mon premier. Il ne sera pas le dernier. Il y en a eu d'autres avant lui. De passage ou pour durer un peu plus. Aucun n'a su me retenir. Peut-être qu'ils n'en avaient pas envie. Et c'est le problème, n'est-ce pas ? C'est pour ça que je me retrouve encore seul, effrayé par des songes invisibles. Carrément bandant, c'est certain.

Mes pensées s'égarent vers mon nouveau voisin et notre « rencontre » furtive. Si je m'attendais à voir un homme torse nu de l'autre côté du balcon en allant fermer les rideaux ! J'ignorais même que la maison avait enfin été relouée. Je m'étais habitué à cette autre forme de solitude. De contempler des volets fermés. D'imaginer la poussière recouvrant les sols à l'intérieur de la demeure. Tout m'a paru comme figé dans le temps, ces six derniers mois. Et voilà que rien ne l'est plus. Il a débarqué.

D'où vient-il ? Pourquoi est-il là ? Comment s'appelle-t-il ?

Les questions tournent et tournent et tournent dans ma tête. Ça va virer à l'obsession. Mais ce type, bon sang ! Si tous mes fantasmes avaient décidé de prendre vie dans un seul corps, ç'aurait été le sien, assurément. Il fait ma taille, un ou deux centimètres de moins peut-être. Des cheveux d'un noir d'encre, juste assez longs pour que je puisse y laisser traîner mes doigts. Des yeux tout aussi noirs, des puits sans fond qui donnent envie de s'y noyer. Un nez légèrement proéminent surplombant des lèvres fines, d'un rose sucré.

Néanmoins, ce qui m'a captivé, ce ne sont pas vraiment ces détails, même s'ils sont frappants d'intensité. Non, ce qui m'a littéralement happé, ce sont les muscles fermes et artistiquement dessinés que son torse nu et son bas de pyjama moulant m'ont révélé. Du béton armé. Et toute cette peau caramel exposée à ma vue, comme une invitation pour que ma langue pécheresse la recouvre de son empreinte humide. Le moindre centimètre carré.

Par la force des choses, j'ai appris à être impassible, à ne pas montrer ouvertement ce que je ressens. Cependant, cet homme que je ne connais pas a réussi à m'arracher un sourire. Il m'a atteint. Pour une fois, je n'ai pas eu mal en le voyant m'observer. Je n'ai pas voulu fuir, plutôt m'étaler devant lui et le laisser me voir. Me voir vraiment. Étrange. Mes anciens amants ne m'ont jamais vu tout entier. Seulement en parties. Je n'ai pas une seule fois été nu devant eux, totalement. Lui, par contre... Lui m'a fait frissonner sous son regard. Il m'a fait frémir lorsque j'ai compris, dans un éclair de lucidité hallucinant, que je pourrais me déshabiller devant lui. Il dégage une sorte de certitude absolue qui m'a frappé de plein fouet.

« Je suis fort. Je pourrais te briser. Mais je ne te ferai jamais de mal. »

Je prends encore une fois mes désirs pour la réalité. Tous m'ont fait mal, d'une manière ou d'une autre. Pourquoi un homme dont j'ignore tout agirait autrement ? Peut-être que j'ai simplement essayé de me raccrocher à une chimère pour ne pas sombrer plus profondément.

Je mords dans le coussin, y étouffant un cri. Je suis bouleversé, c'est tout. On ne fait pas son coming-out tous les jours, encore moins sur le net. Fatalement, je vais croiser des gens que je connais à la fac cet été. Même si le gros d'entre eux sera parti en vacances ou travaillera, certains feront comme moi et suivront des cours supplémentaires. Dès demain, je devrai faire face et garder la tête haute, quand tout ce que j'ai envie de faire est de fusionner avec ma couverture, de m'y fondre et de ne plus avoir à jamais me matérialiser. Si je disparaissais, est-ce que je manquerais à quelqu'un ?

Je nepeux pas penser à ça. Ce n'est pas une solution. Je suis beaucoup de choses,mais pas un lâche. Ma grand-mère ne m'a pas élevé ainsi. Je marcherai droitvers le peloton d'exécution sans faire demi-tour. Mon armure me protègera desballes, comme elle n'a pas pu le faire ce jour-là des couteaux et des autresarmes. J'ai la peau plus dure désormais. Je suis fait d'acier trempé. Mon cœurpeut s'effondrer, mon corps se tiendra debout. Plus personne ne me mettra àgenoux. Personne.