Chapitre 5 - Taehyung

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« Even if I knew already

I can't stop

No way no way no way I fall

As time passes

It just becomes more ruined

No way no way no way it's collapsing again »

House of cards, BTS



La sonnerie stridente du réveil me tire du semblant de sommeil dans lequel j'ai réussi à plonger, une ou deux heures plus tôt. J'ouvre difficilement les yeux, lançant une main à l'aveugle pour balayer l'écran de mon portable et faire taire la voix d'Henry qui m'aide à revenir parmi les vivants chaque matin.

« I'm getting tired, I guess I'm dreaming alone

Will you strongly shake me and wake me up, wake me up ?

I'm trapped, I'm trapped

I'm losing myself »

Lorsque le silence envahit à nouveau ma chambre, un soupir m'échappe. Je place un bras sur mon visage, replongeant dans ce noir qui m'appelle sans cesse. J'aimerais trouver un rayon de lumière quelque part, n'importe où. Il n'y a que quand je chante que je l'entrevois. Alors, une douce chaleur emplit tout mon être, me donnant l'impression que tout n'est pas si obscur autour de moi. Ces moments-là sont précieux. S'ils n'étaient pas là pour émailler mon quotidien, j'aurais baissé les bras depuis longtemps.

Je sors du lit, m'étirant et passant les doigts dans mes cheveux. Le haut de mon pyjama remonte sur mon ventre, le caressant doucement. Une seconde, je me prends à imaginer ce que ce serait, de me réveiller à côté de quelqu'un d'autre, de sentir sa main à lui relever mes vêtements et découvrir la peau en dessous.

— Arrête de te faire du mal, Tae.

Aucun des mecs avec qui je suis sorti n'est resté toute une nuit. Aucun. Immanquablement, j'étais seul dans mon lit quand le soleil se levait. Je pouvais grappiller une étreinte de quelques heures, pas plus. J'ai besoin de quelque chose de plus permanent, d'un homme qui me prend dans ses bras, qui me tient. Et qui fait me sentir tenu, même quand il n'est pas à côté de moi. Je n'ai trouvé personne d'assez fort pour tenir le rôle. Le trouverai-je un jour ?

Je me rends dans la salle de bain. Il me reste environ vingt minutes avant que Jimin ne débarque sur le pas de ma porte. Vite, je me brosse les dents et saute dans la douche. L'eau tiède qui coule sur mon corps achève de me réveiller. Je me laisse aller sous le jet, m'enfonçant entre les volutes de buée qui s'élèvent et s'accrochent aux parois de la cabine. J'aimerais pouvoir laver mes péchés, mes pensées impures, comme je le fais de mon corps avec du savon. Ce serait si simple, n'est-ce pas ? De ne plus être « contre-nature ». De ne plus être « différent ». Mais c'est une partie de moi dont je ne peux me défaire, qu'importe à quel point j'ai essayé par le passé. Elle est toujours là, tatouage sur mon front qui crie « pédé ». Les autres l'ont vu, dans mon village natal. Et j'en ai payé le prix. Ici, ces deux dernières années, j'ai pu me redéfinir. Personne ne me connaissait. Ça a été facile de faire semblant. J'ai enterré au fond de moi mes... envies, ne les laissant ressurgir que sous couvert des ombres de la nuit. Jusqu'à hier. Désormais, mes « penchants » sont exposés en pleine lumière. Et moi aussi.

Je baisse la tête vers l'avant, mes mains à plat contre la paroi de carrelage blanc. Mes cheveux tombent, rideau mouillé qui brouille ma vision. Si des larmes se mêlent aux traînées d'eau qui glissent sur moi, personne ne le verra. Je souhaiterais qu'elles finissent enfin par se tarir et que je puisse trouver la paix. Cependant, cette sérénité à laquelle j'aspire semble filer entre mes doigts tremblants sans que je ne puisse jamais la retenir. Éreinté, je commence à chanter. Rien de spécial, juste des mots qui s'enchaînent et qui disent ma peine, mes peurs, mon manque de courage. Je les sors, un par un, jusqu'à ce qu'ils cessent de pourrir mon âme.

Quand je finis par couper le jet et m'extirpe de la cabine, commençant à me sécher dans une grande serviette molletonnée, je me sens un peu plus léger.

Ça va aller.

Quoi qu'il se passe, je ferai front. Je peux plier, mais je ne romprai pas. Cela dit, je ne peux m'empêcher de me demander combien de douleurs, de souffrances un être humain est capable de supporter avant de se briser en mille morceaux ? Quelle marge me reste-t-il avant que je n'en puisse vraiment plus ? J'ai vu des amis se suicider parce qu'ils étaient à bout. Est-ce que je suivrai la même voie qu'eux ? J'avoue y avoir songé plus d'une fois. C'est l'image de ma grand-mère qui m'a retenu. Le jour où elle ne sera plus là... qui me retiendra ?

J'ai à peine le temps de finir de m'habiller que j'entends le son de la cloche de l'entrée remonter jusqu'à moi. J'attrape prestement mon gilet et ma besace, les enfilant tout en descendant l'escalier. Lorsque j'ouvre la porte dans un coup de vent, Jimin m'apparaît, un sourire aux lèvres. Son optimisme permanent me tord les tripes.

— Prêt ? me demande-t-il nonchalamment.

J'acquiesce sans rien dire. Comment peut-on être prêt à affronter des gens qui, hier encore, étaient vos amis et qui, aujourd'hui, vont très probablement vous traiter comme un pestiféré, si ce n'est pire encore. Je n'ai pas eu la force de prendre la température en retournant sur ce maudit post, en lisant les commentaires qu'il a engendrés. J'avais assez mal. Peut-être que j'aurais dû. Je serais moins stressé à l'heure actuelle. Ne pas savoir ce qui vous attend est suffocant. La boule dans mon ventre ne cesse de grossir, grossir, grossir, à mesure que je marche en silence aux côtés de Jimin. J'apprécie le fait qu'il n'essaie pas de me faire parler, tellement peu sûr que je suis d'en être capable. Néanmoins, je sais que ça ne va pas durer.

Il me faut seulement attendre quelques centaines de mètres, jusqu'à l'arrêt de bus, pour entendre sa voix me murmurer à l'oreille :

— Tu penses que c'est la fin du monde, que tout le monde va te rejeter.

Il prêche un converti, bien que je ne le lui fasse pas remarquer. Il partage mon fardeau alors que rien ne l'y oblige, simplement parce qu'il est mon ami. Le meilleur.

— Les gens te surprendront peut-être. En tout cas, laisse-leur une chance d'essayer, d'accord ?

Sa main sur mon épaule, il me pousse dans le car qui vient de se garer au bord de notre trottoir. Je me dirige vers le fond du bus, avisant deux places libre et m'avachis sur l'une d'elles. Dès que Jimin s'assied à côté de moi, je chuchote à contrecœur :

— D'accord.

Derrière les vitres de l'autocar qui traverse la ville en cahotant, les nuages filent et défilent sur un ciel d'un bleu aveuglant. Toute cette beauté me heurte, par trop irréelle. Elle représente cette pureté qui me fait défaut. Je suis sale. À cause de ce que je ressens. À cause de ce que je représente. C'est mal, d'être un homme désespérant d'en aimer un autre. L'amour ne devrait pas être d'une telle violence. Pourtant, c'est le cas. Il est de celui qui vous pousse à vous asseoir dans un coin pour pleurer en silence, à vous lacérer le cœur et la chair en silence, à crever en silence. J'ai envie de crier. Fort, si fort que mes cordes vocales s'en trouveront déchirées. Si je hurle suffisamment, quelqu'un finira peut-être par m'entendre. Mais j'en doute.

Une voix métallique perce à travers les micros : « Cheongnyangni ». L'heure de vérité.

Je me lève avec effort, Jimin coulant un regard vers moi. Je lui souris, d'un sourire qui vacille, qui n'est pas assez grand et franc pour le rassurer. Je le vois du coin de l'œil se mordiller les lèvres de nervosité. Ses paroles de réconfort, lui non plus n'y croit pas vraiment. Il sait.

Je prends une grande inspiration en descendant du bus et emprunte le chemin de l'université. Je me fais une promesse, une seule : tenir un jour de plus.

TrappedWhere stories live. Discover now