Allongée dans le noir Aurore écoutait avec désespoir le staccato monotone et régulier de la pluie sur les volets clos.
S'y ajoutait le souffle puissant d'un vent glacial qui s'engouffrait en hurlant dans les pièces humides et froides de la vieille ferme. La vétuste demeure de ses cousins se dressait seule, isolée, à l'écart de tout, coincée au milieu de marais dont s'élevait un brouillard tenace et quasi permanent. Un mauvais chemin, cabossé et creusé d'ornières remplies d'une eau noirâtre à l'odeur malsaine, conduisait au premier village distant d'une bonne dizaine de kilomètres, autant dire au bout du monde.Ni sa tante, ni son oncle ne semblaient s'en formaliser et ses cousins moins encore pour lesquels cet éloignement rimait avec absence de contraintes. Pour ces paludiers de père en fils rien n'égalait la proximité des bassins de décantation d'où ils extrayaient ce sel qui les faisaient vivre.
- J'ai froid !
Tirée de ses réflexions par la plainte de sa mère, Aurore posa son ouvrage pour rajouter du bois dans la cheminée.A l'heure des repas elle ouvrait la porte pour que sa mère profite de la chaleur de la cuisine. Mais il n'était que quinze heures et elle préférait la laisser fermée pour tenter de réchauffer un peu la pièce. C'était la plus chaude de la ferme ce qui ne l'empêchait pas d'être glaciale. Depuis quelques jours l'eau des carafes y gelait pendant la nuit. Aurore n'osait imaginer ce que ses cousins devaient endurer lorsqu'ils partaient se coucher dans leurs galetas sous les combles.
Ce manque de confort ne semblait pourtant pas les déranger outre mesure. Ils affirmaient d'ailleurs en riant que l'hiver restait, en dépit des températures quasi polaires de cette fin d'année 1628, leur saison préférée car leur mère les dispensaient, pendant toute cette période, de se laver. En guise de toilette ils se contentaient d'un coup de chiffon passé à la va-vite pour se sécher le corps s'il avaient effectué des efforts violents.
Aurore, de son coté, souffrait plus qu'elle ne voulait bien l'admettre de cette vie spartiate. Il ne lui avait d'ailleurs fallu que quelques jours pour s'apercevoir que vivre à la campagne n'avait rien d'un rêve. Et c'est en déchantant qu'elle avait du confronter ses impressions glanées ça et là au gré de ses courts séjours estivaux aux dures réalités de l'existence dans une bâtisse isolée en plein hiver.
En fait Aurore tentait du mieux qu'elle pouvait de s'adapter à la situation mais elle demeurait incapable d'imaginer que cet endroit isolé et silencieux allait se transformer, dés le printemps, en petit paradis sur terre. Si elle n'y avait passé de nombreux séjours dans le passé elle n'aurait jamais admis que, d'ici quelques mois, une végétation luxuriante entourerait à nouveau la maison, que le chant des oiseaux y rivaliserait avec le croassement des grenouilles et les milles et un bruits d'une faune multiple et varié.
La vie avait disparue emportant avec elle tout ce qui en faisait la richesse : les sons, les couleurs et surtout cette chaleur si douce qu'elle faisait l'effet d'une seconde peau. Ne restait qu'un vide glaçant, un tapis noir et uniforme de végétaux en décomposition recouvrant un sol stérile. Plus aucune de trace de ce potager dont elle prenait un soin quasi jaloux au point de se relever la nuit pour en épier le moindre frémissement, plus aucune tige de ces fleurs dont elle ramassait des brassées pour embellir la salle principale, plus aucune de ces herbes aromatiques dont elle aimait s'enivrer. Il ne restait rien qu'une nature hostile, repliée sur elle-même, acharnée à survivre et à passer un hiver de plus.
Son oncle et sa tante, conscients de ce fossé entre les habitudes citadines de leurs invitées et l'inconfort de leur propre existence leur avait aménagé à la hâte la plus chaude des pièces disponibles. Il s'agissait, en fait, d'une ancienne souillarde séparée de la cuisine par une énorme cheminée qui en adoucissait la température. Ce qui n'empêchait pas ses murs d'être recouvert en permanence d'une épaisse couche de salpêtre qu'Aurore avait renoncé à faire disparaître.
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Aurore
Historical FictionLa longue course vers la liberté d'une jeune fille ruinée et orpheline dans l'Europe du XVII° siècle.