BROTHERHOOD

Chapitre 2 :

Le Domaine, 2011

Il faisait beau.

Au dehors, le soleil perçait l'indulgente couche de nuages avec abondance tandis qu'une légère brise faisait bruisser les feuilles des arbres avec une douceur surprenante. Entrant par les fenêtres ouvertes, elle soulevait le papier coloré des banderoles suspendues au-dessus du lit et traversait la pièce telle une vague de fraîcheur bienvenue en ce début de matinée.

C'était le début de saison le plus agréable que le Domaine ait connu depuis longtemps. L'été n'était encore qu'une douce promesse à l'horizon, bien loin de la chaleur suffocante qui assaillait d'ordinaire ses prémices. Ce printemps s'annonçait n'être en aucun cas comparable à ceux des années précédentes.

Comme aucun d'entre eux.

Cette évidence était rendue plus que frappante par le reflet que lui renvoyait le miroir. Un miroir qu'elle s'était appliquée à éviter depuis son retour. Et pour cause, ce dernier lui montrait une image à laquelle elle avait trop de mal à se confronter.

Tandis qu'autour d'elle, tout resplendissait de vie et de couleurs, son reflet lui apparaissait terne et livide. Il ne ressemblait plus en rien à celui de la très jeune fille qui, moins d'un an plus tôt, s'était tenue à sa place avec enthousiasme. Le doux hâle de sa peau, hérité de longs après-midis au soleil, s'était inévitablement dissolu au fil des mois, jusqu'à ce que celle-ci ne soit plus que d'une pâleur maladive sur ses os devenus fragiles. La blondeur de ses cheveux, autrefois similaire à un champ de blés, avait laissé place à un blond malingre et fané alors qu'ils ondulaient sans vitalité jusqu'à frôler ses hanches. La structure même de son corps semblait altérée alors que ses muscles d'enfant hyperactive avaient progressivement fondus, conséquence d'une immobilité trop longue. Les rondeurs juvéniles de ses joues s'étaient elles aussi creusées jusqu'à ne plus être, révélant des pommettes saillantes et une mâchoire bien trop présente. Son jeune visage souriant ne se résumait plus qu'à un assemblage d'angles trop durs.

Peu importait où se posait son regard, Elisabeth ne voyait que des différences si flagrantes entre celle qu'elle avait été et celle qu'elle était désormais, qu'elle en venait parfois à douter. Étaient-elles vraiment les mêmes ? Avait-elle réellement pu être cette adolescente enjouée et pleine de vie autrement que dans sa mémoire ?

Ses yeux accrochèrent l'épaisse ligne de chair rose et boursouflée qui dépassait du col en V de son haut. La cicatrice qui barrait sa poitrine semblait attester qu'elles n'étaient qu'une. Seulement, elle ne pouvait se débarrasser de l'insupportable sensation de n'être qu'une pâle imitation. Une imitation qui faisait regretter l'originale.

Avec la plus grande précaution, la jeune fille fit lentement glisser la peau calleuse de ses doigts sur celle hypersensible de la stigmate qui n'aurait jamais dû se trouver là. Un frisson désagréable lui parcourut l'échine alors qu'elle frôlait la ligne inégale. La lame avait causé de nombreux dégâts en s'enfonçant dans son corps, la chirurgie n'avait pas pu tous les arranger. Les dommages qu'avaient subis la peau tranchée en particulier...

De légers coups contre la porte entre-ouverte.

Elisabeth réprima un sursaut face à cette intrusion, le cours de ses pensées interrompu net. Ses muscles se contractèrent alors qu'elle jetait un regard par-dessus son épaule.

Dans l'embrasure, un jeune homme se tenait la tête baissée. Ses mèches d'un brun obscure accrochaient la lumière tandis qu'il gardait pudiquement ses yeux rivés sur le sol. Ethan.

Son bras retombant le long de son corps, Elisabeth se sentit froncer les sourcils. Elle n'avait entendu aucune voiture. Aucun bruit trahissant leurs arrivés en dépit de la fenêtre ouverte. Une autre preuve. L'ancienne Elisabeth n'aurait pas été surprise par sa présence. Elle l'aurait entendu franchir le seuil de l'entrée, monter les escaliers. L'Elisabeth qui avait pris sa place semblait avoir tout oublié des enseignements qui avaient rythmé sa vie.