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10 juillet, 2023, Domaine Bazin.

Célestine. Selon Internet, cela signifie « qui vient du ciel ». Un peu de bon sens, je ne viens pas d'aussi loin.

Je me demandais fréquemment qui, entre mon vieux père et ma mère, qui n'était pas plus jeune, avait eu la merveilleuse idée, ou plutôt la pire, de m'appeler ainsi. Sûrement mon père. Père était un homme pétillant, un temps seulement. Aujourd'hui, père était ennuyeux. Il était du genre à raconter sa journée de pêche une dizaine de fois, dans la même journée. Il était également du genre à idolâtrer ma sœur, à lui faire des éloges à longueur de temps. Finalement, peut-être avait-il été trop préoccupé par sa naissance, quelques minutes après moi, pour choisir mon prénom. J'en avais conclu que ce prénom démodé n'était la faute que d'une personne : mère ; qui, soit dit en passant, était tout aussi archaïque.

Autrefois, lorsque ma cadette et moi même n'étions que de jeunes pousses de quelques centimètres, mère était à la pointe de la mode. Sa pauvre tête rousse apparaissait presque partout dans les rues, ou bien même dans les journaux. Encore aujourd'hui d'ailleurs.
Son visage plein et lisse d'antan décorait toujours les devantures de nombreuses boutiques de vêtements, bien évidemment aujourd'hui démodées. Lorsque nous passions devant l'une de ces affiches, les vieux jours où nous nous accordions encore quelques sorties familiales, mère s'écriait « Regardez, c'est moi ! ». Je la dévisageais, les passants aussi. Personne ne pouvait la croire. Après tout mère était méconnaissable. Il était difficile de croire que la magnifique jeune femme qui s'affichait derrière les vitrines était notre vieille génitrice dont de profondes rides zébraient aujourd'hui son visage devenu plus ovale.


Quoi qu'il en soit, je n'aimais ni mère, ni mon prénom.

— Bon sang, Célestine, veux-tu bien lâcher cette coupe et venir me filer un coup de main ?

Je relevais lentement les yeux de la fenêtre, dérangée. Ma cadette avait du mal à lacer sa robe. J'ignorais son appel et ramenais la paille de mon cocktail entre mes lèvres rouges. Je croisais les jambes et la fixais intensément dans mon coin, confortablement assise sur ce sofa en cuir jaunâtre. Elle aussi n'avait pas été gâtée par nos parents pour le choix de son prénom. C'est sa couleur de cheveux, héréditaire, qui avait, d'après quelques bruits de couloirs, permis de mettre un prénom sur magnifique bébé qu'elle était.

— Célestine, insistait-elle.

Je ne pouvais m'empêcher d'être jalouse de ma cadette. Après tout, elle me surpassait dans bien des domaines. Elle avait réussi à marcher avant moi, suscitant l'émerveillement de nos parents. Lorsque je me décidai enfin à marcher, mon père me gratifia d'un simple « c'est pas trop tôt ». J'en fus vexée et j'avais boudée. Elle avait également prononcé les mots « maman » et « papa » en première. Quand mon tour arriva enfin, ma mère ne me fit qu'un laconique « c'est pas trop tôt ». Ma bouderie s'installa de nouveau.

En outre, Ambre excellait dans bien des domaines. Non seulement elle avait brillamment réussi ses études et décroché un job de rêve, mais elle était aussi devenue une star des réseaux sociaux, affichant sa beauté et sa vie idyllique à travers une dizaine de clichés journaliers. Elle était suivie par près de deux millions d'admirateurs français et étrangers. Ambre ressemblait à une version 2.0 de mère, au grand dam de tante Christine qui aurait préféré voir toute la famille s'engager dans l'armée.

Malgré tout cela, j'étais fière d'elle et de sa réussite. Un peu.

— Célestine, combien de temps comptes-tu m'ignorer ? s'énerva-elle. Viens m'aider.

Aujourd'hui était un jour spécial pour elle. Elle allait se marier. Quand bien même je la méprisais d'être si parfaite, je restais sa grande sœur, de quelques minutes. J'avais finalement posé mon cocktail et avait décidé de l'aider à serrer les laçages de sa longue robe blanche, démodée.

CélestineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant