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— Désolé, j'étais foncedé.

Ça, ce que tu viens de lire et ce qu'elle vient d'entendre, c'est la seule excuse qu'a pu sortir Isidore face à Coline, fraîchement revenue de son passage aux urgences après l'accident de l'autre matinée. En béquilles et avec une attelle pour six semaines, toutes les occasions sont bonnes pour souffrir de sa malchance.

— Je te jure, sur la tête de mon frère, que si j'avais su que j'allais tomber un poil plus tôt, je me serais pas accroché à toi.

Voilà une autre façon de résumer la situation et essayer de montrer le peu de regret qu'il pourrait ressentir sur le coup. Seulement, Coline s'en contrefiche qu'il vienne la voir pour s'excuser et lui conter cet énorme bouilli de charabia. De toutes les personnes dans les escaliers à 10 h, il a fallu que ce soit elle qui devienne le réceptacle de sa chute. Elle ne se souvient presque de rien, sauf d'une énorme masse qui avait tiré son sac et lui avait fait dégringoler les dernières et fatales marches.

— T'inquiète pas.

Ce qu'elle aurait voulu dire par là, c'est plutôt « casse-toi ». Primo, parce qu'elle n'a aucune envie de parler avec Isidore et qu'elle n'en a rien à foutre de ses excuses nulles. Deuzio, parce que plus elle se portera loin de lui, mieux ce sera. En connaissance de cause, mieux vaut ne pas traîner avec un énorme boulet si l'on en est foncièrement un. Surtout qu'être défoncé à 10 h, ce n'est pas top. Et enfin, tertio, elle n'aime pas être seule avec un garçon. Même dans une cour remplie de monde.

Le moment est assez gênant. Deux adolescents dans un lycée, qui ne se parlent jamais, pas prêts du tout à sociabiliser, et clairement antipathiques l'un envers l'autre. Aux yeux de Coline, Isidore n'est qu'un petit con maladroit qui passe le plus clair de son temps à faire des fouilles archéologiques de ses neurones plutôt que de se creuser réellement les méninges. Isidore et elle ne se parlent jamais, savent bien sûr qu'ils existent, mais ne se sont jamais fait la bise en se croisant pour autant.

— Bon bah, j'y vais. Encore désolé, répète-t-il bêtement.

Coline force un sourire, dépitée, puis soupire de soulagement en le voyant partir.

— Alors, le trouduc' est parti ? demande Angèle en la rejoignant.

C'est le surnom du blond. Tout le monde l'appelle ainsi au lycée. Isidore Marcelin est le trouduc' par excellence.

La première fois qu'elle a entendu parler d'Isidore, c'était à la rentrée de seconde. En réalité, tout le monde a entendu parler de lui à cette époque-là. Le blond s'est carrément trompé de classe, pendant littéralement deux semaines. Il s'est fait passer pour son meilleur ami absent encore en vacances, Anatole. Durant ce court laps de temps, Isidore avait été dans la classe de Coline. Et, déjà, elle l'avait trouvé chiant. Ensuite, le boulet avait eu tellement mal après une olive dans le cul de la part de ses potes qu'il a dû aller voir un médecin en première. Tout ça pour un anus endolori. Pas très glorieux. Enfin, cette année de terminale commence mal pour lui, après s'être tapé un 0 en anglais. Il a eu la bonne idée de mettre ses mots de vocabulaire au Tipex sur sa règle. Qui triche en anglais sérieusement ?

Coline pousse un soupir de fatigue en entendant la sonnerie. De la philo pour les deux prochaines heures de cours. Grosse flemme.

— J'en ai marre de ma vie, se plaint Coline en essayant de se lever péniblement avec ses béquilles, tout en voyant Isidore lui sourire au loin comme un con.

*

— Rendez-moi vos copies, braille le professeur de mathématiques en arrachant presque l'interro de Coline.

La blonde soupire : elle n'a pas eu le temps de se relire. Les autres élèves ont l'air déprimés. Sans grande surprise, l'interro n'a rendu personne heureux. Vraiment pas Coline, en tout cas, elle qui n'a pas répondu à toutes les questions comme elle l'aurait voulu.

Le prof quitte la salle deux minutes après, laissant les élèves dans un tourbillon de frustration.

— T'as répondu quoi à la 2) b) ? demande son voisin d'en face.

Coline aimerait se boucher les oreilles tant elle déteste entendre les autres partager leurs réponses. Elle ne peut s'empêcher de participer pour autant. Pourtant, elle sait très bien qu'elle finira plus par se ronger les ongles d'avoir écrit n'importe quoi que par être rassurée sur de bonnes réponses.

— Un truc bizarre avec des racines carrées, avoue la blonde dépitée.

— T'es sûre ? Parce que j'ai trouvé 9.

Coline aimerait faire manger à Selim son 9. Mais à chaque fois qu'elle se tourne vers lui, elle se rappelle qu'elle a clairement un crush sur son voisin. Alors elle acquiesce bêtement, en essayant de ne pas faire gaffe au « neuf » qui hante chaque phrase des autres élèves de sa classe.

— Tu viens demain soir ? demande Selim en lui décochant un sourire.

Elle soupire. Si seulement... Le brun a organisé une soirée exprès pour ses dix-huit ans et les chances qu'elle y aille s'avèrent négatives.

— Ma mère ne me laissera jamais sortir avec une cheville foulée un samedi soir, lâche-t-elle tristement.

Selim grimace et une part de Coline ne peut s'empêcher de maudire un peu plus Isidore. S'il n'avait pas eu la bonne idée de tomber, elle ne serait pas en train de rater l'occasion parfaite pour voir son crush en dehors des cours.

— T'es la bienvenue quand même, rassure-t-il en se retournant.

Les oreilles de Coline chauffent de manière grandiose et ses joues se teintent d'une nuance de rose. La blonde ne peut s'empêcher de sourire niaisement tout le long du cours d'anglais. Encore une fois, Co' est victime de l'effet Selim.

OupsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant