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Naïs

Impossible de me concentrer sur ce mail que je relis depuis dix minutes. Et pourtant, il n'est pas long. Mon problème ? Des yeux verts francs et légèrement moqueurs qui ne me quittent pas depuis plus de 24 heures.

Ce type dégage vraiment quelque chose de particulier.

Je soupire, me frotte le haut du crâne et enregistre la pièce jointe dans mon dossier spécialement réservé à ma thèse. Mon professeur référent vient de m'envoyer les dernières corrections, les dernières petites retouches concernant ma conclusion. Il est pointilleux et moi aussi. On s'entend donc à merveille. La mécanique spatiale me fascine mais là, aucune inspiration. Je n'ai pas la tête aux équations et aux calculs.

Je suis déçue et en colère.

Je suis une boule de nerfs depuis que je me suis réveillée hier. Je lui ai filé mon numéro de téléphone ! Je ne le fais jamais, jamais bon sang ! Parce que je ne les revoie pas : une nuit, c'est tout ce que je demande. Mais avec lui, je n'ai rien eu. J'ai donc perdu l'esprit. Pour un mec charmant. Attentionné, attentif, plein d'assurance et visiblement gentil. Oui, j'avais sacrément envie de coucher avec lui mais non, je n'aurai pas dû lui filer mes coordonnées. Même si maintenant, ce qui m'énerve, c'est qu'il ne m'ait pas appelé. 

Remarque, il ne se souvient peut-être pas très bien de la soirée.

Je me marre en repensant aux dernières minutes passées ensemble. Ce type ne doit pas avoir l'habitude de boire. Ou je lui ai fait trop d'effets. Ou je l'ai tellement excité que ses neurones ont grillé. Je ne me retiens pas de rire. Mais je ne suis peut-être pas très gentille. Et je ne devrais pas repenser aux baisers échangés car la frustration se fait sentir de nouveau. Son contact a été électrique, puissant, surprenant. Je suis plutôt attirée par les bad-boys d'habitude, parce que je sais qu'il ne se passera rien de sérieux, que c'est vraiment pour le plaisir et rien d'autre. Alors, avec Gaëtan, je suis allée de surprise en surprise. Je ne devrais pas m'intéresser à ce type. Je devrais être soulagée que notre rencontre s'arrête là car moi, je n'ai pas pu m'empêcher d'aller le trouver.

Je jette un œil à mon réveil et me secoue. Je n'arrive jamais à l'heure mais je me force à ne pas dépasser les dix minutes de retard. Du moins, j'essaye et autant dire que ce n'est pas une réussite à 100 %. Je file sous la douche, me brosse rapidement les dents, coiffe mes cheveux à la va-vite et enfile un jean avec un tee-shirt simple. Avant de sortir, j'attrape mon sac et ma veste. En descendant les marches, je m'arrête au palier du deuxième étage et colle mon oreille à la porte arborant le numéro 3. Aucun bruit.

Elle dort surement encore.

Et j'aime mieux ça. Ma mère doit se reposer. Cela fait seulement trois ans qu'elle a pris sa retraite anticipée et que j'assure nos besoins à toutes les deux. Elle mérite que je m'occupe enfin un peu d'elle. Après tout, c'est elle qui nous a porté à bout de bras durant tant d'années, même quand on vivait encore avec mon père. Ce salaud.

Respire... respire.

Je file jusqu'au rez-de-chaussée en faisant table rase du passé. Nous avons fui il y a douze ans maintenant et notre vie ici ressemble au paradis. Les fins de mois sont parfois difficiles mais je ne m'en plains pas.

Je marche une bonne quinzaine de minutes avant d'attraper le bon bus et de m'installer sur un siège en attendant mon arrêt. J'arrive finalement avec treize petites minutes de retard. J'ai le droit à un regard excédé des femmes de l'accueil et, si je n'espérais pas obtenir un CDI après la validation de mon doctorat, je leur ferais bien un doigt d'honneur avec une grimace. Elles sont tellement pètes-sec. Mais c'est plus sage de les ignorer et je vais pointer avant de grimper les marches deux par deux pour arriver au troisième. Je ne prends que rarement l'ascenseur, ça me maintient en forme.

Je salue quelques collègues au passage et m'engouffre dans le bureau que je partage avec toute une équipe. Celle des ingénieurs en mécanique spatiale, ceux qui calculent, analysent et vérifient les trajectoires futures des satellites envoyés en orbite. Mon rôle ici ? Réaliser des simulations pour vérifier la bonne tenue de certaines pièces aux contraintes irrépressibles liées à l'atmosphère.

Je balance mon sac au pied du porte-manteau près de la porte, ôte ma veste et rejoins mon collègue. Celui qui partage son bureau et qui est devenu un bon ami. Aussi insociable que moi, grognon, geek, insupportable avec sa manie de tirer sur son lobe d'oreille quand il réfléchit. Et comme c'est un mec intelligent, autant dire qu'il cogite souvent. Mais il m'a tout de suite fait une place, non sans râler, mais sans jamais rechigner à m'apprendre, à expliquer, à perdre du temps avec moi donc.

— Salut, Yindee !

Le thaïlandais plisse ses yeux face à son écran, lève une main dans ma direction pour me stopper, déplace ses doigts sur son clavier à une vitesse folle puis lève enfin la tête vers moi.

— Bien le bonjour ma chère Naïs.

— Oula... tu as quelque chose à me reprocher ? demandé-je tout en faisant glisser mon fauteuil à roulettes jusqu'à lui.

— Tu as passé un bon weekend ? enchaine-t-il sans répondre.

— Oui. Tu sais, si tu as quelque chose à me dire, fais-le. Je n'irai pas te tirer les vers du nez.

Il me dévisage un moment puis soupire. Il me connait maintenant. S'il ne veut pas parler, je n'insisterai pas. Je déteste les gens qui veulent se faire mousser. J'ouvre donc l'ordinateur portable qui m'est destiné, entre mes codes et patiente pendant le démarrage. Je sens le regard de mon collègue mais continue à fixer mes doigts qui tapotent la surface lisse du bureau. Encore un soupire. Yindee finit par s'adosser au dossier de son siège et par croiser les bras sur sa poitrine. Je devine ses sourcils se froncer.

— Alors il parait que tu as abandonné Alexis et ces potes pour un autre mec ?

C'était donc ça ! J'ai un demi-sourire. C'est lui qui nous a mis en relation, persuadé que ce type pourrait me plaire. Et ça aurait pu être le cas si je n'étais pas tombée sur Gaëtan ce soir-là.

— Ouais, admet-je d'un ton froid. « Ton » Alexis, c'est un vrai connard.

— Aïe. À ce point-là ?

— Qu'il m'approche encore et je lui pète le bras.

Il sait que je ne plaisante pas et acquiesce avec sérieux. Il fera passer le message. J'ai laissé Gaëtan gérer le problème à sa manière car je n'aurai pas été aussi douce et diplomate. Les mecs qui ne comprennent pas le non, ça m'insupporte. Et ça a légèrement tendance à me faire péter un câble.

J'ai vu ce que ça pouvait donner...

— Ok, changement de sujet ! reprend Yindee d'un ton enjoué. Dans deux jours, présentation officielle de nos résultats sur les nouvelles pièces fabriquées par SpaceSat. Faut qu'on soit clair, précis et avec plein, plein d'illustration.

— On vulgarise le jargon, c'est ce que tu veux dire ?

— Exactement. N'oublions pas que nous avons des non-initiés en face de nous.

Je lève les yeux au ciel avant de me plonger dans le travail. On vérifie nos calculs, on sélectionne les simulations les plus pertinentes, on prépare une présentation pas trop technique et on se répartit l'exposé. Je suis tellement concentrée que je n'entends même pas mon portable sonner.

— Oh, bordel, Naïs, tu vas répondre, oui, lance Yindee en me poussant du coude, excédé.

— Désolée, grogné-je.

Je prends mon téléphone et sors de la pièce tout en décrochant. Je fais quelques pas dans le couloir pour m'éloigner des bureaux et ne pas gêner mes collègues.

— Martin, j'écoute.

— Waouh, quel accueil.

Je me fige deux secondes. Cette voix... ne me dites pas qu'il appelle maintenant !    

Try with love (terminée) [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant