Chapitre dix.

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Question du jour : films, livres ou séries ? Perso, je ne sais pas du tout ce que je préfère.

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L'ambiance se tasse pendant plusieurs minutes. J'examine mes mains avec attention, ignorant que dire ou que faire. Je tente même de réduire ma respiration à un souffle imperceptible pour ne pas déranger Éos.

Celle-ci finit par me sourire, mais ses yeux reflètent encore sa tristesse.

- J'ai plombé l'atmosphère, n'est-ce pas ? m'interroge-t-elle.

Je n'ai pas besoin d'acquiescer, puisqu'elle répond elle-même :

- Évidemment que j'ai cassé l'ambiance ! Je suis désolée, c'est juste qu'il y a deux ans encore, je passais ces vacances avec mes parents. Noël et le nouvel an me rappellent bien trop ces années-là.

Dans un premier temps, je n'ouvre pas la bouche, mais je me rends compte que la jeune femme attend une réaction de ma part. Alors je dis :

- Pas de soucis.

- Rhéa, arrête de vouloir me faire plaisir. Dis ce que tu penses vraiment.

Ce que je pense vraiment, hein ? Pour une fois, je m'en fiche ; un soudain abattement, ça arrive tout le temps et à tout le monde. Même à ceux qui paraissent les plus solides.

- Je pense que tu as le droit d'être triste, commencé-je doucement afin de ne pas la brusquer. Je pense que tu as le droit d'être en colère. Et, surtout, je pense que tu devrais en parler, au lieu de garder tout ça enfoui.

- Tu en parlerais, toi ? À une parfaite inconnue ?

Non. Dans mon cas, il ne s'agit même pas d'un non hésitant, mais bel et bien catégorique.

En partageant mes problèmes avec les autres, j'ai l'impression d'être une charge agaçante et déprimante. Alors, je me tais, sauf en présence de Tim – qui me pousse toujours à m'exprimer. Il s'agit d'une autre de ses qualités : il ne veut pas me voir m'enfermer dans un silence destructeur, mais plutôt m'aider à tout prix.

- Ce n'est pas de moi qu'on parle. En plus, tu connais ma réponse. Donc, toi, Éos, souhaites-tu en discuter avec moi ?

- Pas pour le moment.

- Alors je ne compte pas insister.

La jeune femme redresse la tête et la tourne dans ma direction. Peut-être dans l'attente que je me contredise, que je fasse un faux pas, mais je ne semble pas lui donner ce qu'elle veut – ou ne veut pas, précisément. Elle détourne les yeux.

- Je les déteste vraiment, finit-elle par avouer, malgré sa précédente envie de se taire sur le sujet. Je suis leur fille, leur fille unique, pourtant, ils ne cherchent pas à comprendre. N'est-ce pas ça, justement, le job des parents ? Comprendre et soutenir leurs enfants ? Ce n'est pas comme si j'avais choisi d'être comme ça !

Ses poings sont fermés, blanchis au niveau des phalanges. Toutefois, elle reste extrêmement calme.

- Parfois, les liens familiaux ne sont pas suffisants, soufflé-je, incapable de trouver une réplique réconfortante.

- Ça devrait, alors. Enfin, bon, je n'ai pas envie de t'embêter avec ça. Ni même d'y penser plus que nécessaire.

Son expression aussi s'est refermée. Elle réprime une colère depuis trop longtemps enfouie. C'est en l'examinant que je comprends qu'elle n'a pas besoin de m'en parler à moi ou à quelqu'un en règle générale. Non, elle, elle voudrait confronter ses parents. Mais j'imagine que c'est la peur de les perdre définitivement qui l'en empêche.

Ou peut-être que je me plante complètement.

- C'est comme tu veux, annoncé-je. Je suis là, prête à t'écouter ou à changer de sujet.

Elle soupire, longtemps. Elle relâche toute la pression dans ses épaules et dans ses mains. Ses doigts se déplient et elle me jette un coup d'œil désolé.

- Ça va aller. Je ne comptais pas dire tout ça... D'habitude, c'est le genre de trucs que je garde pour moi, surtout lors d'une première rencontre. Mais, bon, on fait les choses différemment, toi et moi, depuis le début.

Je ne dis rien. Elle observe les environs. Elle a toujours les larmes aux yeux, mais elle se retient.

- Et merci, au fait, murmure-t-elle après un long moment. C'est sympa de ta part de ne pas t'être enfuie en courant.

Ce n'est pas pour autant que je n'en ai pas crevé d'envie, pendant quelques secondes seulement.

- Je peux te demander un service ? reprend Éos doucement.

- J'imagine, haussé-je les épaules.

- Ça te dérangerait de me parler de mythologie ? J'ai besoin de ça.

Mon visage s'enflamme et mon cœur bondit brusquement, toutefois, je souris et accepte. Je souris parce que j'ai réussi à la faire se sentir mieux et que je n'ai pas encore tout fait foirer. Cela fait très longtemps que mon aisance avec les gens a disparu, mais me voilà, à réconforter une inconnue.

Somme toute, je crois que c'est moi qui attends un faux pas de ma part. J'attends le moment où je vais ruiner ce qui est en train de se construire sous mes yeux et le redoute plus que tout.

UN MOMENT D'ÉTERNITÉ Où les histoires vivent. Découvrez maintenant