Chapitre 5 - Leah

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​Je me réveille, le dos en compote, sans savoir où je suis, pourquoi j'y suis et quel jour on est. Je sens quelque chose de mou sous ma tête... Je me relève en un éclair et tout me revient d'un coup : la soirée chez Miles, ma partie de jambes en l'air avec James (pas le meilleur coup de ma vie soi-dit en passant), et — merde— le moment où je me suis endormie sur Miles dans la salle de bain. Je sors sur la pointe des pieds, enjambe les corps endormis dans le couloir et dans le salon, attrape mes affaires et descend dans la rue.
​L'air frais me fait du bien, et m'aide à reprendre mes esprits. Je sors mon portable de mon sac pour regarder l'heure, mais la batterie est à plat. Je décide de marcher un peu en ville. A en juger par le nombre de personnes dans la rue et les magasins fermés, il doit être encore assez tôt. Je rentre dans le seul bistrot ouvert et commande un expresso. Je suis addict à ce truc, pas la peine de ma parler avant que j'aie bu mon bol de café matinal. Tout en buvant, des bribes de souvenirs de la soirée d'hier me reviennent encore. Je ne sais vraiment pas ce qui m'a incitée à parler et à m'endormir aux côtés de Miles. Décidément, l'alcool est une mauvaise chose pour mon self control. Mais j'ai besoin de contrôler tous les aspects de ma vie, je suis comme ça. Je m'interdis beaucoup de choses pour rester dans ma zone de confort, et, surtout, ne pas souffrir.
​Une fois mon café avalé, je réfléchis aux options qui s'offrent à moi : rentrer à l'appartement, en espérant que Frank soit de bonne humeur et pas trop défoncé ; traîner en ville ; ou retrouver Luke chez lui. Je décide d'opter pour la troisième solution, et j'appelle Luke.

– Putain, Leah, tu te rends compte que c'est 8h30 ?!
– Désolé mec, mais c'est une urgence. Soirée mouvementée, besoin de parler et pas envie de voir la sale gueule de Frank.
– Je t'attend.

​Je ne sais pas ce que je ferais sans lui. On se connaît depuis qu'on est gamins, et même si on n'est pas du genre grande déclaration d'amour, on sait qu'on peut compter l'un sur l'autre en toutes circonstances. Et c'est la dernière personne en qui j'ai confiance, alors je ne sais vraiment pas ce qu'il se passera s'il me la fait à l'envers. Enfin, le principal c'est qu'il soit là.
​Je paye la note, et saute dans le premier bus pour aller chez Luke. Une fois chez lui, la porte est ouverte, j'entre, pose mes affaires et rejoins Luke sur le canapé. Ses parents sont partis pour la journée, alors on est tranquilles.

– Alors, raconte-moi le désastre d'hier, je t'écoute.
​Alors je lui raconte tout, sans exception. Je lui explique la conversation avec Miles, puis comment on s'est endormis ensemble, sur le sol de la salle de bain. Je lui décris mes sentiments par rapport à Miles, et même les galipettes avec James — ce qui ne manque pas de le faire rire, surtout quand j'ajoute l'anecdote sur sa performance médiocre. Une fois mon monologue terminé, je me sens mieux. Même si je ne m'ouvre quasiment jamais, parler me fait du bien. Cela me permet d'évacuer, de voir les choses sous un autre angle, de relativiser. Et Luke, même si je ne l'admettrais pas sous la torture, est en général de très bon conseil. Après tout, c'est la personne sur Terre qui me connaît le mieux. Les gens du lycée croient ma connaître, mais la fille qu'ils fréquentent n'est pas Leah. La fille qu'ils fréquentent, c'est une personnalité que j'ai créée de toutes pièces.
​J'attends donc la réaction de Luke, qui pour l'instant m'a regardée alternativement avec des yeux de merlan frit et un regard moqueur.

– Waouh, Leah, pourquoi tu te mets dans des situations pareilles si tu refuses d'envisager une relation sérieuse avec qui que ce soit ?
– Je sais pas. Franchement, je sais pas ce qui cloche chez moi.
– Moi, je pense que tu devrais laisser sa chance à Miles. Au moins apprendre à le connaître, surtout s'il t'as pas semblé totalement repoussant hier. Et puis, lui parler en étant sobre, ça pourrait être une bonne idée, tu penses pas ?
– Mouais, je suis sûre que c'est un sale con, comme les autres.

​Comme la tête de mule et la pessimiste que je suis, je refuse, provoquant un soupir de la part de mon meilleur ami. Mais ce qui est bien dans la fait d'être pessimiste, c'est qu'on ne peut pas être déçu. Finalement, tous mes choix sont guidés par le souhait de me blinder pour ne pas souffrir. Ou, du moins, souffrir le moins possible. Parce que je fais face aux violences physiques quotidiennement.
​On passe le reste de la journée à regarder Netflix, à parler de choses et d'autres, et on commande des pizzas — 4 fromages pour moi, Reine pour lui — à midi. Quand vient le moment de partir, le soir, Luke me conseille une dernière fois de laisser sa chance à Miles, d'arrêter de coucher à droite à gauche ; et se fout de moi et de ma capacité plutôt faible à tenir l'alcool.
​En rentrant chez Frank, je baisse la tête et marche le plus vite possible : je ne me sens pas d'attaque pour une quelconque interaction avec un quelconque être humain, et surtout pas Miles.
​Je grimpe les escaliers quatre à quatre, enfonce ma clé dans la serrure, et pousse la porte en croisant les doigts.

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