Je découvre l'appartement dans un piteux état : des bouteilles de bières vides jonchent le sol, ainsi que des boîtes de pizza vides. Frank est étalé sur la canapé, assoupi. Je tente de me faufiler dans ma chambre sans le réveiller, mais au moment où j'atteins l'encadrement de ma porte, une douleur fulgurante ma transperce le crâne. Je m'effondre. Il se tient au-dessus de moi, une bouteille à la main.
– T'étais où, depuis hier soir ? Encore en train de te faire sauter dans un coin miteux, hein ? T'es bien la même salope que ta mère ! Tu sors plus d'ici sans ma permission ! Bouge-toi de nettoyer ce bordel.
Je me relève et le fixe, sans bouger.
– Ah ouais, t'ose me défier ?
Le coup de poing dans mon ventre arrive avant que j'aie eu le temps de le dévier, me pliant en deux et me faisant cracher du sang. Il me laisse par terre, et retourne se vautrer devant la TV.
Une fois que j'ai enfin repris mes esprits, je me traîne dans ma chambre, puis dans ma salle de bain et j'entre dans la douche. Je laisse l'eau couler sur ma tête en pleurant doucement. Jamais je n'ai pleuré devant quelqu'un, et jamais je ne le ferai. Parce que ce serait montrer ma faiblesse, et m'exposer. Je ne peux pas me le permettre. Donc je pleure en cachette, une fois que je suis sûre que personne ne risque de me surprendre. Je retiens ma respiration, en pensant à combien ce serait facile de tout laisser tomber, d'abandonner, de quitter ce monde merdique. Mais je n'aurai jamais le cran de me suicider. Pas sans savoir ce qui m'attend après. Alors, comme d'habitude, je me lave, je me rince, me sèche et me glisse sous les draps. Cette accumulation d'évènements m'a vidée, et je m'endors quelques minutes plus tard.
Je suis réveillée au milieu de la nuit par les vibrations de mon téléphone : j'ai oublié de l'éteindre hier soir. Pestant contre la personne, qui qu'elle soir, qui ose me faire chier en pleine nuit, j'attrape mon téléphone. Je constate que j'ai un nouveau message, d'un numéro inconnu.
Inconnu : Salut. Désolé de te déranger en pleine nuit, mais j'ai vraiment besoin de te parler. Ce qui s'est passé vendredi soir me tourne en boucle dans la tête, et j'ai besoin de savoir ce que toi, tu en penses. Parce que je déteste être dans l'incertitude, et y penser tout le temps. Alors dis-moi que je ne suis pas le seul à sentir quelque chose. Dis-moi que tu vas me laisser approcher de toi. Je veux découvrir la vraie Leah.
Plusieurs pensées se bousculent dans ma tête :
- C'est Miles. C'est sûr. Qui ça pourrait être d'autre ? Je doute que cet abruti de James sache écrire sans fautes d'orthographe.
- Comment il a eu mon numéro ?
- Il croit vraiment qu'il y a quelque chose entre nous ? Il se fourre le doigt dans l'œil jusqu'au coude, parce qu'il n'y a et il n'y aura jamais rien. J'ai vraiment merdé en m'ouvrant à lui comme ça.
Puis je me demande quoi répondre à ça. Après quelques minutes de réflexion, je lui écris un message et l'envoie.
Leah : Où t'as eu mon numéro ? Et de quel droit tu te permets de me réveiller en pleine nuit pour m'assommer avec ton blabla débile ?
J'éteins mon téléphone et me recouche. Parce que je ne veux pas attendre son message, et parce que je veux dormir, bordel. Mais évidemment, je ne me rendors pas. Je me tourne et me retourne dans mon lit. Je me déteste de penser à lui, de réfléchir à tout ça alors que je devrais y être indifférente. Je ne peux pas baisser la garde. Je dois rester de marbre. Finir le lycée, me tirer d'ici et commencer ma vie.
Au bout d'une heure, j'abandonne : je sais que je ne dormirai plus. Je me lève, m'habille et attrape mon livre préféré, Orgueil et préjugés de Jane Austen. Et je me lance dans une énième relecture. Quand je lis, je m'évade de ma propre vie et je suis libre de rêver à tout ce que je ne m'autorise pas. C'est un moment en tête à tête avec moi-même, sans aucun connard d'humain. Juste moi et le monde, les personnages et l'histoire dans laquelle je me plonge.
Vers 9 heures, j'entrouvre la porte de ma chambre et écoute. Manifestement, Frank est sorti, ou il dort. Je m'aventure dans la cuisine, jette un coup d'œil dans le salon et dans sa chambre, mais pas de trace de lui. Il doit être au bar avec ses ivrognes de potes. Ce qui veut dire que je suis tranquille pour un bout de temps. Je mets la machine à café en route, et je descends acheter des pains au chocolat. En remontant à l'appartement, je me rappelle du texto de Miles hier, et je fonce chercher mon téléphone. Je l'allume, étrangement impatiente. 3 nouveaux messages. Ce trou du cul m'impressionne. Il ne ressent pas la honte, ce gars ? Ça ne le dérange pas de donner l'impression de me courir après ? J'ouvre l'application message et commence à lire.
Miles : Alors. Ton numéro, je n'ai eu qu'à demander à quelques potes. Ensuite, je m'excuse de t'avoir réveillée, mais si je peux me permettre, tu devrais éteindre ton téléphone quand tu dors ;)
Miles : Mon blabla débile ? Désolée, Leah, mais je suis juste honnête. Vendredi, tu m'as donné l'impression que le courant passait bien. En fait, je ne me suis jamais senti aussi bien avec une fille.
Miles : J'imagine que tu liras ces textos dimanche matin, alors je te propose un deal : tu acceptes de déjeuner avec moi, et si tu ne veux plus que je te parle après ça, je disparais. Bonne nuit, princesse ;)
Je n'en reviens pas de l'effet que me font ces trois petits SMS. Un sourire débile s'est installé sur mon visage. En réalité, aucun garçon ne m'a jamais parlé comme ça, comme si j'avais de l'importance, comme s'il me considérait comme une femme, comme si j'étais son égale et pas quelque chose qui lui était dû, un objet. N'empêche qu'il faudrait lui expliquer que les smileys comme ça, c'est totalement ringard. Et puis, m'appeler sa princesse, alors qu'on se connaît depuis une semaine ?
Enfin bref. Je pense un moment à accepter le deal, mais je reviens à la raison. Non. Je ne peux pas.
Leah : Un déjeuner ? On se connaît à peine, merde ! Puis j'ai des choses à faire, aujourd'hui. Désolée.
Miles : Un déjeuner express, alors. Allez, fais un effort. Qu'est-ce que ça te coûte, d'essayer ?
Je ne sais vraiment pas quoi faire. Alors je me rappelle les paroles de Luke. Et je réponds, avant de changer d'avis.
Leah : OK. 12h devant chez moi. Et ne m'appelle plus ma princesse.
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Look At The Sky
RomanceQuand Leah, lycéenne à problèmes, rencontre Miles, sa carapace menace d'éclater en mille morceaux. Miles, intrigué par cette jeune fille renfermée et asociale, va tout faire pour découvrir la vraie Leah, celle d'avant l'accident qui a tué ses parent...