Chapitre 2. Yon-woo

1 0 0
                                    


L'hymne de notre honorable nation me réveille. Il est 6h13 am. Il est un peu trop tôt pour un samedi, mais il n'est jamais le mauvais moment pour rendre honneur au maréchal, celui qui veille pour notre sécurité à tous les jours, celui qui nous protège du monde hostile qui se trouve à l'extérieur de notre pays.... ou c'est ce qu'ils veulent qu'on croit...

Mais non, arrête de douter, Yon Woo. Tu as tout ce que tu mérites et même plus. Le maréchal a été tellement généreux et depuis 3 mois j'habite dans un des appartement les plus luxueux de Pyongyang. Mes parents sont des médecins, et veillent pour le bien-être de chacun des citoyens pour rendre honneur au maréchal. Par conséquent, je fais de même aussi. Je fais le plus grand de mes efforts pour être reconnue à l'Université de médecine de Pyongyang, la plus prestigieuse de la Corée du Nord.

Je me rends au salon où l'on trouve les trois photos des grands commandants suprêmes de notre nation: Kim Jong-il, Kim Jong-un et Kim il Sung. Je m'assois devant la télé. Bien que normalement il n'y a pas d'électricité à cette heure de la journée, par un simple réflexe, j'appuis le bouton pour l'allumer. Étonnement, le petit écran s'allume devant moi et j'entends alors avec plus de clarté l'hymne national. En bas de l'écran, l'on est en train de faire circuler un message: Tous les citoyens de 12 ans et plus, veuillez vous rendre devant la tour du Juche à midi, il y aura une exécution publique.

Je reste immobile devant la télé. Je m'efforce de ne pas trembler ou de faire n'importe quelle grimace. J'ai toujours cette peur irrationnelle (ou peut-être rationnelle) où je m'imagine qu'ils nous observent même dans notre privacité. Je me lève lentement et d'un pas lent et ferme, je me rends à la salle de bain. J'ouvre le robinet et je vomis violemment dans à l'intérieur de la cuve.

Je n'ai pas pu me l'empêcher. C'est quand j'ai eu 12 ans que j'ai vu ma première exécution publique. Je sais que notre maréchal est un homme de justice, alors s'il prend cette mesure, c'est parce que la personne le mérite. Il ne faut pas violer les règles, puisque le pouvoir du Juche réside dans l'harmonie de notre société et l'on ne peut pas se permettre d'accepter les rebels. Pourtant, depuis cette première fois il y a 8 ans, mon corps tombe malade instantanément lorsque l'on nous avertit qu'il y aura une exécution. Le visage de la personne qui avait été exécutée ce jour là est resté à jamais dans mon esprit. L'exécution s'était déroulé le matin, un jour ensoleillé de septembre. Le soleil était presque aveuglante, mais il fut assez discret pour qu'on puisse voir le spectacle. C'était comme si la seule vérité à laquelle nous avons accès, c'est la mort. Le restant, demeure un mystère pour nous. J'ai l'impression que l'on vit dans un mensonge. Je me sens coupable d'avoir ce genre de pensées, le maréchal serait déçu.

Quelqu'un cogne à la porte de la salle des bains.

- Yon Woo? Est-ce que ça va? Tu ne te sens pas bien?

Je prends quelques instants avant de répondre. Je respire lentement lorsque j'essaye d'effacer les images sadiques qui bousculent dans ma tête. Je me rappelle alors que j'ai laissé sur mon lit un livre que j'ai acheté au marché noir. Un livre interdit. La peur de mourir et la nausée m'envahissent. Je ne peux plus. Depuis un bout de temps j'ai des doutes à propos de la vie que l'on mène. Les paysages et les personnes décrites sur mes livres ne sont pas du tout ce que notre maréchal nous décrit. De plus, mes livres décrivent une société qui ne manque pas de nourriture ni d'aucune commodité alors que nous, en Corée du Nord, manquons souvent de bouffe, de chauffage, de loisirs. Il y a un terme qui revient souvent dans mes recueils: Liberté d'expression. Je me demande ce que c'est. Je sais que si un jour j'ose exprimer mes doutes, je vais me faire exécuter. Si un jour quelqu'un apprend que je lis des livres interdits, ma famille et moi allons nous faire exécuter. «Calme toi» J'essaie d'éclaircir mes pensées. Le sang froid, c'est ce dont tu as besoin dans ce genre de cas si tu veux rester en vie.

VIVE LA CORÉE RÉUNIFIÉEWhere stories live. Discover now