Chapitre I

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PDV YunHo

Je soupire. Comme à chaque fois que je passe la porte de cette grande maison derrière laquelle nos voisins et nos proches pensent qu'une vie de famille idéale se déroule. Alors que ce n'est absolument pas le cas.

Mariage arrangé, un enfant parce qu'il en faut bien au moins un. Une femme qui se plaint que je ne la touche pas mais qui se braque dès que j'essaye. Un fils qui me reproche mon absence constante, mon amour pour lui uniquement matériel. En vérité, j'ai juste peur de ne pas être à la hauteur. Alors je préfère me cacher, m'enfuir loin de cette maison où ma fausse vie de famille m'étouffe.

Je parcours cet habitat moderne dont chaque meuble, chaque couleur, chaque coin a été choisi uniquement par la femme qui est censée partager ma vie. Et en plus de ne pas l'aimer elle, je n'aime pas ses goûts. Le blanc cassé, le jaune pâle, le bleu clair. Que des couleurs qui me donnent froid et aucunement chaleureuses. Elle s'est inspirée de moi dit-elle. Mais je ne peux pas m'excuser tous les jours de ne pas éprouver ne serait-ce qu'une attirance amicale envers elle.

C'est mon père qui l'a choisie pour moi et j'ai juste obéi parce que j'ai été élevé comme ça. Je n'ai pas voulu infliger la même éducation à mon fils. Je sais bien qu'il le pense, c'est un enfant privilégié, comme tous dans notre milieu. Mais dès qu'il est devenu grand, qu'il est rentré au collège, un déclic s'est fait en moi, en nous. Nous avions une relation trop fusionnelle et dans ce milieu, le père et le fils ne sont proches que lorsqu'ils commencent à travailler ensemble. Alors nous nous sommes éloignés l'un de l'autre jusqu'à devenir de parfaits inconnus vivant sous le même toit et réunis par une femme typiquement clichée qui a besoin qu'on s'intéresse à elle mais qui est incapable de s'attacher aux autres. Parce qu'elle a été élevée comme ça. Et je suis désolé envers DongHae pour tout ça.

J'enlève ma veste, l'accroche au porte-manteau avant de croiser l'une des domestiques dont je ne connais pas le nom et que très peu le visage. C'est ma femme qui s'occupe des gens de maison mais en change souvent. Tellement que j'ai fini par ne plus pouvoir retenir le nom et le visage de tout le monde. Et j'en suis désolé pour eux.

Je parcours alors la maison, passant dans le salon où je salue ma femme et mon fils de loin avant de m'engouffrer dans mon bureau. Je dépose ma pochette sur un coin du meuble à la même appellation et m'assois devant celui-ci avant de fermer les yeux pendant quelques secondes.

Que je hais être dans cette maison.


Le souper se passe dans un calme royal, comme la plupart du temps. Je n'ai rien à leur dire, rien à leur confier d'important. Ma femme me reproche souvent d'être trop réservé mais si je commence à parler, elle me coupe pour parler d'elle. J'aurais bien demandé à DongHae comment s'est passée sa journée mais je ne le fais plus depuis longtemps parce qu'il me répond toujours vaguement, sans jamais entrer dans les détails, ou m'envoie gentiment aller voir son relevé de notes comme si seuls ses résultats scolaires comptaient pour moi.

Pendant longtemps, je n'ai pas su pourquoi il s'était mis à me détester. Jusqu'au jour où il est venu me dire que ma non-présence aux cotés de ma famille commençait à lui peser et qu'il serait bien que je fasse un peu plus attention à ma femme. Je n'ai pas osé lui dire que si je ne suis pas auprès de lui et que si je ne fais pas attention à sa mère, c'est parce que j'ai quelqu'un d'autre dans ma vie.

Alors que seul le bruit des couverts comble le vide, DongHae ouvre la bouche.

_ J'ai quelque chose à vous dire.

Je relève la tête vers lui, surpris par cela.

_ C'est bien la première fois, intervient sa mère.

_ C'est sérieux et important et j'en ai assez de vous le cacher, explique-t-il.

_ Tu as toute notre attention, je lui dis.

_ Je suis amoureux.

_ Et tu trouves que c'est important au point de nous en parler ? lui demande ma femme.

_ Je tiens à vous le dire mais si vous ne voulez pas m'écouter, je me tais.

_ Je suis sûr que c'est quelqu'un de bien.

Par cette phrase, j'essaye de l'encourager à se confier. Je sais que c'est très dur d'annoncer à ses parents qu'on est en train de vivre notre première histoire d'amour et, même si ce n'est pas la première, je connais la tentation et l'envie de le crier au monde entier. J'ai même employé mon ton le plus doux parce que je suis heureux pour lui. Être amoureux peut être quelque chose de très douloureux mais c'est également un sentiment de bien-être qui ne nous quitte pas.

_ Qu'est-ce que t'en sais ? T'es jamais là de toute façon.

Je prends sa lance en plein cœur mais ne me démonte pas pour autant. Je suis coupable, je l'avoue, mais l'entendre dire de sa bouche d'un ton aussi cru ne me fait pas sauter de joie, c'est certain.

_ Et peut-on savoir comment elle s'appelle ? lui demande sa mère.

_ Il s'appelle Lee HyukJae.

Pour une surprise, c'est réussi ! Et l'air de rien, il continue de manger, calmement. Je jette un coup d'œil à ma femme qui fait de même avant de reporter son attention sur notre fils.

_ « Il » ? C'est un homme ?

_ Oui.

_ C'est surprenant, je lâche, ne trouvant pas d'autres mots.

_ Surprenant ? répète ma femme. C'est immonde ! Inhumain ! crie-t-elle. Comment peux-tu aimer un homme ?

_ Mais tu m'as toujours dit que la personne que j'aimerais n'avait pas d'importance pour toi, réplique DongHae.

_ Oui mais pas un homme !

Elle semble outrée par cette nouvelle. Et je me sens vraiment mal à l'aise voire mal tout court. Parce que sa réaction est malheureusement normale dans notre société et que ça me fend le cœur de voir cette horreur et ce dégoût peints sur son visage. Je lance un coup d'œil à DongHae pour voir comment il le prend et suis vraiment touché de le voir dans cet état. Je n'ai jamais aimé voir mon fils pleurer et savoir qu'il est à deux doigts de le faire... Je ne veux pas que ça se produise.

_ Je suppose que si tu nous le dis, c'est parce que c'est réciproque ? je lui demande.

Il hoche la tête avant de la baisser, ne voulant certainement plus croiser le regard de ses parents.

_ Vous êtes heureux ensemble ?

À nouveau, il hoche la tête, avant de renifler. Malgré mes questions qui ne sont pas là pour lui dire que ce n'est pas bien ou pas normal d'aimer un homme, je vois qu'il ne peut contenir ses larmes qui se mettent à rouler silencieusement le long de ses joues.

_ Oh, ça me répugne ! Tu me répugnes !

Ma femme se lève de table et sort de la pièce précipitamment, comme si c'était trop dur pour elle de supporter la vue de son propre fils. Lui n'ose même plus faire un seul geste, comprenant qu'il a perdu le peu d'amour que sa mère lui porte.

_ Tu peux t'en aller si tu veux.

Sans attendre une seconde de plus, il imite sa mère, ne voulant pas rester plus longtemps dans cette pièce où tout s'est effondré à l'intérieur de lui. Et je ne peux pas non plus rester assis là. Je ne peux pas avaler encore ne serait-ce qu'une bouchée à cause de ma gorge nouée. J'ai peur de ce qui va arriver et en même temps, j'envie mon fils qui a trouvé le courage de dire ce que je veux faire entendre aux autres depuis des années.

Tel père, tel filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant