Isla

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Arrivés à Chelsea, je ne peux m'empêcher de scruter toutes ces jolies maisons, luxueuses et harmonieuses.
Isla Lee doit être une de ces enfants trop gâtées, dont chaque désir est donné dans la minute.
Nous nous arrêtons près de l'impasse Bywater Street, si colorée, ça offre un peu de gaieté à chaque passant.
Le numéro 12.
Angèle prend l'initiative de sonner et attend.
La façade de la maison des Lee est d'un joli rose pâle coquet.

Une femme nous ouvre, tout sourire.
- Bonjour, c'est pour quoi ?
Je sent rapidement une délicieuse odeur de pain d'épice venant de l'intérieur.
- Nous nous chargeons de l'affaire concernant Mlle Roberts. Pouvons-nous parler à Isla ? On aimerait bien connaître un peu plus de la vie de la victime. On peut comprendre si c'est trop tôt...

Angèle, c'est ça son problème : elle s'excuse tout le temps. Pourtant, Madame Lee nous laisse entrer en gardant le sourire.

- Elle est dans sa chambre, vous n'avez qu'à vous présenter et le reste ne concerne qu'elle et vous... La porte au fond à droite.
Elle nous indique les escaliers que nous montons au quatre à quatre.
Angèle et moi sommes perplexes, d'un autre côté pas si étonnés de l'immensité de l'étage.
Pourtant nous n'avons aucun mal à trouver la chambre d'Isla.
« Chambre » est un euphémisme...

Je toque deux fois et attends une réponse, puis j'entre.
Une grande salle avec des canapés, une télé, un bureau en marbre, des tableaux abstraits, une douche à l'italienne, oui, c'est censé être une chambre pour une jeune fille de dix-sept ans.
C'est plus grand que la plupart des studios où je vivais à mes débuts. Plus grand que ma cuisine actuelle.
Isla nous sourit gentiment.
Assise sur une banquette collée à sa fenêtre, elle nous fait signe de s'installer à côté d'elle.
La vue de sa fenêtre est belle. On voit les maisons de l'impasse mais aussi bien plus loin, tout Londres.

Ma hâte d'en savoir plus doit se lire car Isla se met à parler, sachant très bien qui nous sommes :
- Elle était toujours très heureuse. Pétillante et... pleine de vie. Mais ça, je suppose que l'on vous l'a déjà dit. C'était ma meilleure amie. J'ai toujours du mal à comprendre comment elle est morte.
En l'écoutant, je trouve qu'elle dit ça avec énormément d'aplomb. Elle continue.

J'ai toujours eu peur de la mort, toujours crains le sang. Je n'ai jamais eu à faire face à un deuil, aller à un enterrement, jusqu'à maintenant. Avec elle j'ai tout vécu. On a grandi ensemble, c'était comme si on se complétait. En y repensant, je commence à lui ressembler. Mais bon, vous n'êtes pas venus pour m'écouter parler de moi.
- Bien qu'elle soit appréciée de la plupart des gens au lycée, des gens auraient-ils pu lui en vouloir ?
- Bah je ne pense pas. Tout le monde l'aimait bien. Mais, elle hésite, à première vue, son copain était un garçon ... gentil, même irréprochable. Mais plus tard, j'ai appris des choses. Vous savez, Will est comme tout ces gars qui se droguent pour aller mieux, ou se sentir mieux, il y en a qui pense que c'est seulement pour remplir une esthétique. Au fond, je le comprenais. Mais... elle serre les poings, qu'il la mêle à ça... Non. Jamais. Je lui en ai toujours voulu.

- Comment ça ?
- Il consommait aussi d'autres drogues, et en a proposé à votre amie ?
- Oui. Vous savez, même si elle me disait beaucoup de choses, je ne peux pas vous aider plus que ça. Je sais que si elle était là, elle me crierait de ne rien dire, mais elle n'est plus là maintenant... elle tenait un journal. Un journal où toute sa vie y était marquée. Elle y écrivait tout. Chaque détail. Je n'ai jamais eu le droit de le lire. Elle le cachait dans sa chambre.
- Merci Isla. Beaucoup. Tu peux venir nous parler si ça t'apaise.

A mon avis ce n'est pas à nous qu'elle voudrait confier sa peine.

Nous remercions Madame Lee et partons de Bywater Street. Pendant tout ce temps dans la voiture, nous ne prononçons aucun mot.

Je n'ai envie de rien. Cette visite m'a vidé de tout sentiments.
Déçu ?
Je dépose Angèle, qui me sourit tristement. Je pars pour Kensinghton.
J'y arrive rapidement.
Je remercie Ann pour avoir préparer le dîner, mais refuse de manger.
C'est si étrange, quelques phrases arrive à brumer ma vision, et je vois le temps s'accélérer. J'ai l'impression que cette histoire n'a aucun but. Je pars me coucher.
–––
Le sable s'étend au loin.
Je ne perçois rien d'autre que le ciel gris et deux ombres trop lointaines.
–––
Je me réveille en sursaut. Ann vient de frapper à la porte. Je regarde mon réveil. Minuit onze.
- Mmh... Oui ?
- Euh... Une femme vous attend à la porte. Elle voulait vous parler.
- J'arrive.
J'enfile un pull, oubliant que je n'ai qu'un caleçon.
Je descend quatre à quatre les marches. Serait-ce Isla, venue pour me parler de notre affaire en détail ?
Et pourtant, l'ombre mince et frêle, grelottante, les cheveux rebiquant, mouillés par la pluie n'est pas Isla. Je murmure alors :
- Qu'est-ce que tu fais ici ?

AvaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant