Jenine

67 3 3
                                    

Ses yeux d'un bleu électrique me défient. Je les entends me chuchoter « Tu ne pensais pas nous revoir ? »
Elle tremble de tout son corps. Pas étonnant : au dessus d'un chemisier fin, elle n'a qu'une veste trop légère à mon goût. Les gouttes de pluie ruissellent sur son visage.
Ses cheveux d'habitude lisses rebiquent, formant alors de nombreuses boucles rousses.
Malgré moi, je ne peux que la trouver belle.

- Entre, dis-je en essayant de ne pas montrer mon trouble.
Elle s'exécute et me suis jusqu'au salon, s'assoie à ma demande sur un fauteuil et accepte la couverture que je lui propose.
- Je sais que... je reviens toujours dans ta vie sans prévenir.
- Oui. Du thé ? J'essaie d'avoir l'air serein et décontracté, mais à l'intérieur je suis bien pressé de savoir pourquoi elle est là.

Jenine a toujours été comme ça.
Imprévisible.
- Je... elle prend une grande inspiration. Après tout ces voyages un peu partout, voir le monde à tort et à travers, j'ai voulu revenir aux sources.

Et voilà, elle a repris sa façade pleine d'assurance.

- J'ai fais de superbes rencontres partout.

L'idée de l'imaginer avec d'autres hommes me transperce le cœur. Ça ne fait pas que le transpercer, c'est comme si il tombait en cendres dans ses mains. Elle continue sur sa lancée, caressant doucement ses beaux cheveux roux :
- Après... après il a fallu que tu me manques. Au début, je m'en sortais bien et maintenant me revoilà, à minuit, dans une maison qui n'est plus tellement la mienne. Avec un fiancé laissé. Quelle abrutie je suis.

J'avale difficilement ma salive.
Pour elle, nous sommes encore fiancés ?
Après tout ces appels sans jamais de réponses, ces messages jamais lus, ces nouvelles jamais données pendant un an ? Un an.
C'est tout ce qu'elle trouve à me dire ?
J'ai envie de pleurer.

Elle a raison. Elle agit comme une abrutie.
Elle qui m'avait promis que la distance n'était pas si grave, que ça passerait vite, qu'elle serait très bientôt de retour.
Sans réfléchir, en sanglots difficiles à cacher, je siffle entre mes dents d'une voix faible :

- Tu m'as promis trop de choses. Le jour où j'ai compris que tu ne reviendrai pas, j'ai décidé d'arrêter d'essayer. Mais je doute que tu ai remarqué quoi que ce soit. En un an j'ai énormément changé, tu sais. Tu aurais peut-être mérité que je te claque la porte au nez. Au fait, je t'aime.

- Oui, je continue, le pire dans cette histoire est que c'est moi l'abruti, parce qu'une part de moi espérait que tu reviennes quand même. Cette maison à Londres, où l'on avait déjà  tracé toute notre vie...  Je m'arrête en voyant des larmes se former au creux de ses yeux.

Je n'ai jamais vu Jenine pleurer. Jamais.
Du temps où l'on s'est rencontrés jusqu'à maintenant, jamais dans son visage il y n'y a eu de sentiments.
Comme si elle avait toujours eu un mur pour ne jamais en être blessée.

Sans même m'en rendre compte, par une force qui m'y attire, je me retrouve contre elle.
Et pour la première fois, on a pleuré ensemble.
Je crois que j'essaie de casser ce mur. Mon corps est un bulldozer entier en réalité.

Elle, casse le silence :
 - C'est loin d'être une légende alors.
Les hommes pleurent bel et bien.

Je ne réponds rien. Si je ne connaissais pas son humour, j'aurais pensé : connasse sexiste. Je n'en ai pas envie. L'état dans lequel j'étais avant de me coucher est loin.
Rempli d'un sentiment de sécurité, de confort, et, comme si ma vie en dépendait, je me blottis. Jusqu'à sentir ce parfum que j'avais failli oublié.
Je la prends dans mes bras.
Elle resserre mon étreinte.
Ses taches de rousseurs ressemblent à des étoiles, je ferme les yeux sur cette voie lactée.

–––
Les deux ombres s'éloignent encore plus.
Mais où suis-je ?
Derrière moi, les pas, eux, se rapprochent.
–––

Mmh.
J'ai un don pour toujours me réveiller sans raison au mauvais moment.
Je sens des mains me caresser doucement, tendrement, presque amoureusement.
Une frimousse attendrie, noyée par des cheveux roux me regarde de ses yeux de chat. Je suis sur mon sofa, la tête contre le ventre de Jenine. J'ai une faim de loup.

D'un geste le plus doux possible, je me retire de son étreinte et va vers la cuisine.
Je remarque aussi que je porte un vieux pull hideux.
J'ai osé me présenter avec ça devant une fille qui passe sa vie dans des défilés ?
Ça me fait rire.

Je farfouille dans les placards, et inconsciemment, je cherche aussi ce qu'on est censés faire maintenant, elle, moi, nous...
J'ai la présence d'esprit de regarder sur la table. Et comme toujours, Ann a prévu.
Ornée d'un joli bouquet, il y a tout ce qu'il faut à manger pour un régiment entier. Un petit mot griffonné à la va-vite dit : « Je reviens dans une heure. Partie faire des courses. A »

Je reviens sur mes pas.
- Ann a fait le p'tit déj.
- ... C'est qui Ann ?
- Viens manger je t'explique, lui dis-je, sourire au lèvres sans même m'en rendre compte.

Comme promis, je lui explique. Elle a été très compréhensive, ce qui m'a paru surprenant de la part d'une femme que j'ai toujours connu possessive.

On déguste comme des enfants affamés.
Quand Ann rentre, des sacs remplis pleins les bras, nous avions fini. J'allume la radio pour emplir l'appartement de musique. Parce qu'aujourd'hui est un jour de musique.

Jenine décide de casser l'ambiance encore endormie en montant l'escalier, me faisant signe de la suivre.
Je l'entends ouvrir mon armoire et chercher quelque chose.
Elle a prit un de mes t-shirt, qu'elle enfile juste avant que j'entre.
Elle flotte dedans.
Elle s'adosse à l'étroit balcon de "notre" chambre. Notre chambre ?
Je décide de la rejoindre, une cigarette aux lèvres tandis qu'elle se colle à moi.

 - J'ai quelques trucs importants à faire dans les prochains jours. Je ne serais pas là très souvent. Un entretien avec une marque... Bref.

- C'est pas comme si tu avait été souvent là.

Je sais qu'elle ne peut rien rétorquer à ça. Alors, comme un mécanisme, elle repousse quelques mèches rebelles pour m'embrasser.

- Je t'aime.        Et elle le répète plusieurs fois en me regardant droit dans les yeux, comme si j'étais là pour l'embaucher et elle venue me convaincre de la prendre.

Je pourrais me croire dans un de ces feuilletons pourris et atrocement puérils.
Et pourtant, quelque chose dit que j'aime ça.

AvaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant