Chapitre 2

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Bon cette fois c'est sur, je suis bien réveillée. Je saute de mon lit et file vers mon armoire, et comme chaque matin, je m'y attarde beaucoup trop longtemps...
Pourtant rien ne pousserait une personne normale à observer, chaque jours, dans les moindres détails, une vieille armoire en bois. Elle n'est ni belle ni somptueuse mais elle m'a toujours attirée de manière imperceptible. Je pouvais passer de longues minutes à la contempler. Ses larges rainures formant comme des rides sur ce meuble, les poignées dont la peinture dorée craquelle, son miroir terne ne reflétant qu'à moitié mon image...
Toute ma vie j'ai vu ce meuble en me réveillant. Chaque matin. Chaque jour. Chaque semaine. Et tout cela durant 16 ans. J'ai l'impression que ce meuble m'accompagne dans ma vie, un peu comme un ange gardien. Bon... en vieux bois craquelé, mais mon ange gardien quand même.

SHANA !!! DÉPÊCHE TOI !

La voix de ma mère me sort de ma torpeur quotidienne. J'en ressent presque une frustration, mais que voulez vous, il faut bien faire quelque chose de ses journées, enfin ... autre qu'observer une armoire.

Je me saisis de vêtements au hasard et les enfile avec le plus possible de lenteur que j'ai pu trouver. Avec un peu de chance, si j'arrive avec trop de retard, ma mère ne m'emmènera pas  chez Mme Sully, une nouvelle fois. Cette femme me hait. Pourquoi ? Je n'en ait strictement aucune idée, mais à chaque fois que je la croise, je sens comme un regard qui me scrute dans les moindres détails.
Bon, il est vrai que ça ne suffit pas pour affirmer qu'elle me hait. Mais que dire de la fois où elle avait, "sans faire exprès", oublié son aiguille sur ma chaise ? Ou quand elle n'avait "pas vu" sa table s'effondrer sur moi ? Vous ne pouvez pas savoir ce qu'est la sensation d'écrasement tant qu'une table en fer ne vous est pas tombé dessus !

Donc, comme vous l'avez très certainement compris, je n'ai absolument aucun début d'envie de bouger pour aller à son encontre. Pourtant, cette femme est la perfection incarnée à Oria. Tout le monde rêve de la fréquenter, mais comme par hasard, c'est moi qu'elle a choisi de conseiller. Moi, la seule personne de toute la cité à la haïr au plus haut point. Je ne comprend même pas pourquoi elle continue de me voir alors qu'elle aussi me déteste! Cette femme est complètement illogique !
La seule personne à apprécier ces rencontres, c'est ma mère. Sans elle, cela ferait bien longtemps que je n'irais plus ... mais qui irait de son plein gré à sa propre perte ?
Je suppose que ma mère espère encore un peu au fond d'elle que côtoyer une personne comme elle me rendra un peu plus normale, un peu plus correcte aux yeux de la cité. Mais c'est ma mère ! Elle devrait savoir que je suis comme ça ! Pourquoi chercher à me changer ? Je ne comprend pas pourquoi les normes existent. Pourquoi règles riment avec discrimination. Pourquoi société vient forcément avec exclusion. Toute personne ne doit-elle pas être et vivre comme elle est sans devoir constamment subir des jugements extérieurs ? La vie est une machine qui créé des personnalités à la chaîne et en série. Tout le monde doit être calme, discret, réfléchit et j'en passe. Pourquoi n'aurais je pas le droit de parler fort et de m'énerver?
Ces questions, je me les pose depuis très longtemps et chaque année, elles changent, chaque année, d'autres viennent compléter la liste. Mais chaque année la réponse reste la même: "Parce que c'est comme ça". Ca l'a toujours été, et ça le sera toujours.

Alors, faute de pouvoir imposer ma façon de vivre aux autres, je me lève et rejoins ma mère, prête à sortir.

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