|2|

203 14 8
                                    

Vendredi soir,  fin de la première semaine de cours.

C'est une tradition depuis ma plus jeune enfance.  Maman invite son amie Gloria et son fils Samuel à célébrer la première semaine la plus éprouvante de l'année.

Maman et Gloria se sont rencontrées à l'école de pédagogie. Elles étaient alors âgées d'une vingtaine d'année et depuis ce temps là,  elles sont inséparables. Comme de fait exprès,  elles sont tombées enceinte quasiment en même temps, et accouché à quatre jours d'intervalle.  Elles se sont retrouvés dans la même maternité. 

Samuel et moi,  nous avons grandis ensemble.  Et comme nos mères,  nous avons tissés beaucoup de liens.  C'est comme mon frère, mon jumeau.  Je le taquine souvent sur le fait que je suis la plus vieille et la plus mature que lui.  Alors qu'en vrai,  il est beaucoup plus responsable que moi.  Très bon élève,  il est délégué de sa classe,  chef louveteaux à ses heures perdus aux mouvements de jeunesse et capitaine de l'équipe de water-polo. Je l'admire beaucoup.

Samuel,  c'est aussi mon meilleur ami,  mon confident.  Il connaît tout de ma vie, comme je connais tout de la sienne.  Il m'a beaucoup soutenu et aidé moralement quand mon père a quitté la maison pour une fille qui avait la moitié de son âge.  Quant à moi,  je l'ai épaulé fortement lorsque son père est décédé alors qu'il venait de fêter son dixième anniversaire. 

Il connaît tout mes secrets. Il est d'ailleurs l'unique à savoir pour les cahiers et les histoires que je me raconte. C'est mon plus grand fan. Je dois dire aussi que c'est l'unique. 

Je connais tout ces secrets.  Surtout son inavouable.  Samuel est homosexuel.  Et vraiment, je suis tellement heureuse pour lui qu'il me l'ait avoué en premier.  Pour sa mère elle ne sait pas encore. Je pense qu'il a peur de la décevoir. Enfin, plutôt son père. Il essaye tellement de lui ressembler en beaucoup de points.
Moi,  je ne sais pas,  mais j'ai eu l'impression que je l'ai toujours su.  Enfin,  surtout lorsque nous nous sommes embrassés,  nous avions dix ans.  On était curieux,  et on a voulu essayer.  C'est partir sur un coup de tête,  j'avais peur de mal faire et surtout je voulais embrasser quelqu'un en qui j'avais confiance. Alors on a essayé.  C'était assez étrange.  Déjà parce que nos sentiments n'ont jamais été portés par ce type d'amour, au grand regret de nos mères. Et puis,  ce jour là, quand nous nous sommes lancés,  bouche contre bouche, Samuel avait eu un air de dégoût.  Quelques années plus tard,  il m'expliquait qu'il l'avait toujours su ; les femmes ne l'avaient jamais attiré.
Au final, je fus soulagée de savoir que mon copain n'aurait jamais d'attirance pour moi. Cela aurait été trop compliqué.

Je suis tellement heureuse d'avoir quelqu'un comme Sam dans ma vie.  C'est vraiment mon frère,  mon jumeau jour moins quatre,  ma moitié. Il me complète. Je suis parfois déçue que nous ne soyons pas dans la même école.  La vie serait beaucoup plus simple. 

Enfin,  nous voilà réunis tous quatre, pour ces moments que nous apprécions fortement.  Des moments simples et réjouissants. Ma mère a préparé son fameux gratin dauphinois et nous soupons. Après le repas,  je décide de prendre Samuel à part,  nos mères aiment ces moments de tranquillité et de confidences,  et pour nous, c'est pareil.  Elles nous regardent nous en aller tous les deux avec des yeux pétillants. Si elles savaient.

Je referme la porte de ma chambre. Sam est déjà couché sur mon lit, prêt à dévorer les nouvelles histoires.  Il sort mon carnet de sa cachette,  C'est à dire celle sous mon matelas, je sais,  il n'y a rien de plus original là dedans, et le feuillette.  Il s'arrête sur la page de mon professeur. Il me regarde incrédule. Je rougis.

- Marion ?  ... T'as oublié de me raconter un truc là. Tu n'as plus d'histoire depuis le 20 août.  Et sur la dernière page,  c'est des gribouillis. Il y a tellement de mots les uns sur les autres,  que je ne comprends rien.

- J'ai le syndrome de la page blanche.

- C'est pas possible. Cela ne t'ai jamais arrivé.  Même quand ton père est parti avec sa Sandy Barbie, t'as jamais eu ça.  Qu'est-ce qu'il s'est passé ? 

Je lui raconte mon histoire.  La rencontre imprévue que j'ai faite ce jour là,  sur le pont de l'ancien canal.  Et de l'immense sentiment de confusion qui m'a traversé l'esprit.  Et puis,  de la seconde et officielle apparition de l'inconnu. C'est la première fois qu'un de mes récits, ou presque dans ce cas-ci,  entre dans ma vie.  D'habitude c'est moi qui suis dans celle des autres.

Samuel m'écoute attentivement et ne dit rien. Je termine de lui raconter mon aventure,  en ôtant explicitement l'harcèlement de mes camarades de classe. Je finis par me taire.  Mon ami me regarde.

- Il est comment ?  Je veux dire physiquement. 

- Figures toi...  Que j'ai failli oublier de te la montrer. L'unique photo que j'ai de lui.  Je l'ai développée la semaine dernière.

Je vais vers ma commode et en sors la photo que je lui tends.  Samuel la scrute.

- Quel postérieur... Dit-il en se rinçant les yeux. 

Je rougis. C'est vrai, ce nouveau professeur a du charme. 

- Tu es attirée par lui,  me lance mon ami. 

- Non...  Et puis,  c'est mon professeur et..  dis-je en bafouillant et en essayant de trouver des prétextes.

- Ce n'était pas une question,  Mar. Et il te plaît. Voilà ce qui a.  Et puis,  avant de savoir qu'il était ton professeur, il ne te laissait déjà pas indifférente. Voilà pourquoi tu as du mal à t'imaginer sa vie. Maintenant,  ce qui nous reste à faire,  c'est à ne pas l'inventer,  c'est à enquêter.

- Pardon ? ! 

- Tu m'as bien compris,  Mar.  Il va falloir qu'on en apprenne plus sur lui pour débloquer ton syndrome de la page blanche.

- Je n'ai jamais espionné quelqu'un. Je ne vais pas commencer. 

- Ça va aller,  Mar. Respire.  Et puis,  Qu'est-ce que nous risquons ? 

- Bah...  C'est quand même mon professeur. En plus de mathématiques.  Imagine il s'en rend compte.  Je ne suis déjà pas douée dans cette matière, je ne veux pas qu'il se doute de quelque chose et l'avoir sur le dos. 

- Mais voilà ce que tu vas faire !  J'ai une idée !!!  Écoute.

Sam m'explique son plan machiavélique. J'essaie de l'interrompre à plusieurs reprises,  mais il a la tête dure.

- Je ne peux pas faire ça. 

- Oh si,  que tu le peux. 

- Sam,  imagine si il se rend compte que... 

- Marion Fernier, dit-il d'un air sec, tu as toujours été, excuse moi l'expression,  nulle à chier en math.  Cette année, la matière est vraiment complexe. Tu n'auras même pas de difficultés à rater.  Ta mère va s'inquiéter et me proposer comme tous les ans,  que je t'aide.  À part que je lui dirais que ce n'est pas possible.  C'est vrai,  j'ai pleins d'activités extra scolaires cette année.  Au lieu de cela,  je lui inciterais de demander à ton professeur. 

- Cela ne fonctionnera pas. 

- Et pourquoi pas ?  C'est bien toi qui voudrait savoir. 

- Non... Je..

- Tu es bloquée sur lui.  C'est la seule façon.  Plus tu en sais,  plus tu seras fixée.  Moins tu auras le syndrome de la page blanche. 

- Je ne sais pas, Sam.  C'est tellement risqué.

- Tu as tout a gagner.  Fais moi confiance. 

C'est ainsi que mon ami,  mon frère de coeur,  mon pilier, mon Sam me lançait dans l'aventure la plus folle de ma vie. 

Le lundi je me montrais prête à rater. Mais attention,  il fallait faire passer cela comme de la mauvaise compréhension et non comme un manque de travail. Tout était question de finesse. Se montrer intéressée en classe,  mais en même temps paumée.  Mon ami avait raison,  cela n'était pas difficile après coup. 

*Aparté *

Voici le nouveau chapitre.  Qu'en pensez-vous ? 
Est-ce que Sam a eu une bonne idée ?
J'attends vos commentaires, suggestions,... 

Dans tous les cas,  je vous dis à bientôt ! 

La vie des autres [Elève - Professeur]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant