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    Cher Tao,

     Te souviens-tu de toi ? A vrai dire, nous n'étions encore qu'innocent lorsque nous nous sommes rencontrés, de jeunes enfants insouciants. Maintenant que j'y pense, nous ne nous sommes vu qu'une seule fois. Mais cette seule fois m'a suffit pour me marquer. La preuve, je t'écris aujourd'hui puisque tu es le seul à qui j'ai pensé. Le seul. Quand je relis les premières lignes de cette lettre, je me rends compte à quel point je suis seul, si seul. Et ce mot ne fait que revenir encore et encore parmi tant d'autre au sein de mon esprit sans que je ne puisse jamais l'arrêter. Enfin, cela te donne sans doutes une petite idée de l'intérêt qui me porte à t'écrire à ce jour. Voilà, l'isolement. Je suis un garçon à part et cela me pèse énormément. Le partage ? Je ne le connais pas. L'amusement ? Non plus. Remémore-toi bien lorsque nous avions débattu sur la texture du chocolat. Arrives-tu à attendre ma voix ? Ne serait-ce que l'imaginer. Je t'en supplie, dis-moi que tu t'en souviens. J'espère que oui, car moi, je ne m'en souviens pas. Alors lis-moi et je te ferai découvrir qui je suis. Pourquoi je suis devenu ainsi. Pourquoi je suis moi. Et peut-être qu'enfin, j'aurai la chance que quelqu'un m'écoute.

Pour commencer, je suis voué au mutisme depuis l'âge de onze ans. « Aussi muet qu'un carpe » comme on dit. Je ne peux parler, je suis dépourvu de voix, de vibrations, de sifflements, de mélodies. En revanche, j'ai de nombreux sentiments refoulés, des émotions dont j'aimerai faire part à ceux qui m'entourent mais je ne me le permets pas. Communiquer. Parler. Chanter. Dire. Rire. Crier. Hurler. Chuchoter. Murmurer. J'aimerais tellement. Là, je me retrouve aujourd'hui, à cette instant précis, dans un train vagabondant sur les railles en compagnie d'individus qui passent simplement leur temps à faire part de leurs émotions. Ils s'expriment. Moi je suis esseulé et invisible parmi tous ces gens fougueux, calmes ou encore malheureux. Donc assis sur mon siège durant les heures à venir, je t'écris. Au final, tu restes la seule compagnie que j'ai, le seul fragment de présence auquel je me rattache. J'ai très envie de te revoir mais rien qu'à y penser, je me demande si tu me jugerais ou non. Si à notre rencontre, j'avais déjà été affecté par cette limite, est-ce que tu m'aurais rejeté comme tous les autres ? Cela voudrait dire que je n'aurais eu personne à qui me confier, pas même à mes parents, juste à moi-même où l'esprit et le cœur n'auraient supporté autant de douleur.

TaoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant