Never Give Up

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- Des circonstances et des amis compréhensifs.

- C'est vague. Vous êtes un peu sauvage, vous, non ? dit-il avec un rictus presque narquois.

- Vous trouvez ?

- Oui. Enfin, à Saint-Martin, les gens sont très accueillants, vous verrez. On ne l'appelle pas la « Friendly Island » pour rien.

- Je ne suis pas si farouche puisque c'est moi qui ai engagé la conversation.

Eliott laisse un rire s'échapper de ses lèvres, trop charnues pour être sages, avant de répliquer :

- C'est une technique des sauvages pour savoir qui les approche de près.

Je détourne le regard. Il n'est pas idiot. Peut-être vaguement égocentré et hautain, mais pas stupide.

- Alors, Mila, quelles sont ces circonstances ? Je ne sais même pas ce que vous faites dans la vie ? Je vous parle et, vous, vous ne me dites rien.

Je réprime mon envie de lui rétorquer qu'il parle assez pour deux parce que ce serait impoli et que ma perception est trop récente pour se faire vérité.

- Je suis infirmière, aux urgences pédiatriques. Enfin, je l'étais, jusqu'à la semaine dernière.

- Pas un métier facile, j'imagine.

- Non. Et quant aux circonstances, on a tous des histoires plus ou moins tristes qui nous amènent à des choix plus ou moins radicaux. Saint-Martin est en reconstruction, comme moi, alors j'ai imaginé qu'on pouvait être bonne l'une pour l'autre.

- Je vois. C'est une décision audacieuse. J'aime bien les gens audacieux.

- Je ne suis pas une grande aventurière, pourtant. Tout ça, c'est nouveau pour moi.

- Ce que vous me racontez me rappelle l'époque où j'ai quitté Bordeaux pour m'installer en Corse. Bon, j'avais un grand-père là-bas, c'était plus simple. Mais j'ai tout reconstruit. J'ai changé de métier, de copine et de vie.

- Et l'expérience a été positive ?

- Oui. Enfin, pour reprendre vos mots, on a tous nos histoires, plus ou moins belles, plus ou moins tristes.

- Moi, je ne supportais plus de voir des enfants à l'hôpital. Je ne veux plus jamais qu'ils meurent sous mes yeux, expliqué-je dans une volonté soudaine de densifier cette conversation à demi-mots.

Son visage change d'expression, comme s'il avait vu un fantôme ou que j'avais dit quelque chose de terrible.

- Je comprends. Allez, je vous laisse à votre lecture, je vais regarder mon film, avant qu'on nous serve à manger, me lance-t-il en dépliant son casque.

- OK. Bon film !

Au fil des minutes, cet homme m'inspire des pensées fluctuantes. De prime abord, il est beau et il sent bon. Mais, très vite, il dégage une forme de suffisance à laquelle je suis hermétique par nature. Puis, en toile de fond, on perçoit une ombre. Une énigme. Une musique en sourdine, plus complexe que la couverture de la partition. Mais je me méfie toujours de ce qui manque de transparence.

*

À l'heure du repas, Eliott a réorienté la conversation sur ses projets en cours. C'est un homme d'affaire, un entrepreneur. En somme, il a flairé l'opportunité post Irma et a profité de la catastrophe pour venir faire du business à Saint-Martin, sous couvert de participer à la reconstruction générale. Son hôtel sur Orient Bay n'est encore qu'à l'état embryonnaire mais son bar de plage à Grand Case pourra, lui, ouvrir dans les prochaines semaines. Je le trouve à nouveau paré d'une fierté mal placée. Il est content de m'expliquer qu'il va créer de l'emploi là-bas parce que la mode est plutôt aux plans sociaux, aux retraits des CDI, aux courts CDD et aux saisonniers. Sans touristes, la situation est plus épineuse qu'avant. Mais lui, il a de l'argent et des connexions.

Demain Je Repars à Zéro -  #DJRAZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant