Here Comes The Sun

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Ivoire fait des bruits si étranges dans sa cage, des bruits qui chahutent mon cœur. Entre l'aboiement, le hululement et les pleurs. Il a l'air effrayé, sans repères et épuisé. J'avance vers les tapis de bagages et tout le monde nous regarde. Tout le monde entend la détresse de mon chien. Je chasse la culpabilité qui voudrait faire son nid parce que je sais que nous n'avions pas d'autre choix et que, dans trois jours, ce mauvais épisode sera derrière lui.

Désormais, je n'ai qu'une urgente obsession : récupérer ma valise et sortir de cet aéroport, loin d'Eliott et de sa dernière question absurde. Elle tourne en boucle dans ma tête depuis que nous avons quitté la cabine. Comment a-t-il osé, après seulement huit heures de cohabitation ? Osé me demander, lorsque je suis revenue de ma balade et des toilettes, si je faisais partie du club très exclusif et très privé des gens qui s'envoyaient en l'air dans les avions ? Selon lui, je m'étais absentée bien trop longtemps pour ne pas cacher quelque chose. D'autant que je n'étais censée connaître personne à bord. C'était forcément louche. Et son instinct lui disait que les filles aux airs sages étaient toujours les plus déjantées.

Au secours. La légèreté de cet homme créerait presque un courant d'air froid. J'aurais pu lui répondre que j'avais préféré me coller le majeur et l'index au fond de la gorge, parce que je n'arrivais pas à me retenir, mais à quoi bon ? Soulager un instant mes nerfs et risquer d'attirer d'autres curiosités ? Non, mieux valait s'abstenir. Je lui ai donc simplement rétorqué qu'il avait les idées mal placées mais que si c'était son truc, il y avait une brochette de femmes à moitié nues en fond d'appareil qui seraient peut-être réceptives à la proposition déguisée. En le voyant se retourner pour tenter de vérifier mes propos, j'ai su que nous n'étions vraiment pas dessinés pour nous entendre.

*

Quelle n'a pas été ma surprise de découvrir Damien, avec un petit écriteau « Bienvenue Mila ! » et son tee-shirt « One Love, One Life, One Island » ! Moi qui pensais prendre un taxi, je ne m'attendais pas à ce que mon nouveau colocataire fasse le déplacement. C'est la confirmation que mon ressenti à distance allait dans le bon sens. Nous nous sommes donné une bise chaleureuse et il a posé sur ma tête une casquette de la même marque que son tee-shirt en déclarant que c'était un passage obligé quand on arrivait ici. Je lui ai tendu un grand sourire, et nous avons rejoint sa voiture, typique des îles. Un petit 4x4 décapoté dans lequel je me sens en vacances, comme téléportée dans une série télévisée. Ivoire s'est installé à l'arrière après s'être dégourdi les pattes et nous avons pris le chemin de notre nouveau toit.

En avançant sur la route, je détaille discrètement Damien en essayant de ne pas me laisser envahir par l'émotion face au paysage écorché et aux stigmates d'Irma. L'image et la réalité n'ont pas les mêmes couleurs. On se croit prêt à tout affronter mais devant les ruines on n'est qu'un bout de chair perméable à la souffrance visible. Alors je place Damien au premier plan de mon observation générale, tout en l'écoutant m'expliquer qu'il a fini sa journée à l'école, qu'il a fait les courses pour notre dîner et qu'il m'a préparé un plan de l'île pour que je m'y retrouve dès demain. Son caractère affable me touche plus que je ne le laisse transparaître. Damien est un gars bien. Aucune comparaison possible avec Eliott. Du haut de ce qui doit être son mètre soixante-cinq, il porte sa générosité en bandoulière. Ses cheveux noirs courts, son corps sec et sa démarche vive ne lui donnent pas l'ombre d'une sévérité. Il transpire la bonhomie. Ses lunettes de soleil, que je devine adaptées à sa vue, me dissimulent son regard mais j'imagine que j'y découvrirai très vite le reflet d'une âme qui me plaît.

Le bleu du ciel, la chaleur et la végétation m'enchantent. Je ne reconnais rien ou presque, ce qui me permet de saisir le beau là où il est encore. J'ai décidé de regarder Saint-Martin avec émerveillement malgré ses fêlures.

Demain Je Repars à Zéro -  #DJRAZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant