Les yeux en amande de Rosane, et toute la bienveillance qui en émane, m'observent de loin tandis que je suis assise à une table avec William ; Ivoire à mes pieds. Nous avions convenu de nous voir la semaine prochaine mais, puisque je suis passée, c'était l'occasion d'échanger quelques mots de vive voix, après nos correspondances virtuelles.
William est un grand type très fin, à la barbe assumée et aux cheveux qui accueillent les premières touches de gris dans le brun. De ce patron se dégage un mélange d'aplomb et de désinvolture. Il semble avoir les épaules très larges – au figuré –, l'ambition tenace, tout en ayant pris le flegme local en apparence.
Le son de sa voix traduit une détermination à toute épreuve. Il m'explique comment il a relevé de leurs cendres le R Café et sa boutique, comment les équipes ont su faire front face aux difficultés et serrer les dents. Il me dit à quel point il était impensable de laisser Irma gagner la guerre.
Dans sa bouche, et dans celles de tant de gens ici, Irma n'est pas juste un ouragan majeur. Elle est personnifiée. Elle est le souvenir d'une nuit d'affrontement. Elle est l'ennemie sifflante qu'ils ont parfois imploré en pensées. Imploré de ne pas leur prendre la vie, de ne pas emporter leurs proches, de ne pas anéantir entièrement leur maison. Irma est un monstre, à la silhouette précise, et pas simplement un événement météorologique sans précédent.
Son émotion se fait à la fois palpable et lointaine, enfouie, comme si elle lui appartenait, qu'il ne m'en donnerait pas la réelle essence. Je me retiens de poser des questions trop ciblées parce que cette histoire n'est pas la mienne. Je ne suis qu'une spectatrice, étrangère ; empathique mais étrangère.
Il raconte les décisions délicates qu'il a dû prendre, celles qui n'ont pas fait l'unanimité. Les soutiens et les détracteurs. La volonté de réanimer le bar-restaurant et la boutique à tout prix, quels que soient les fils à tirer, les lignes à lancer et le temps à écraser. Il fait partie des premiers à avoir réouvert et, depuis, il en a entendu des ragots à propos de ses prétendues magouilles. Il s'en fout. Il fallait remonter à cheval très vite pour ne pas tout perdre, pour se refaire, pour rendre hommage à ceux qui n'ont pas cette possibilité, pour redonner leur job à ceux qui restent, pour remettre un cadre aux journées et retrouver la vie avant Irma.
Ces détails, le choix des mots et son regard planté dans le mien, en disent long sur ce qu'il est en train de se passer. Il me fait un rapide transfert d'expérience et de ressentis, tout en jaugeant mes réactions en temps réel. Il m'évalue. Il me rappelle les morts dont on n'a pas parlé aux infos, les vrais mensonges et les petits arrangements avec la vérité pour éviter d'admettre qu'au vingt-et-unième siècle, on est toujours aussi incapables et impuissants devant mère nature. Il me parle de Fred, son employé mais surtout son ami, qui a perdu son grand-père et est rentré en métropole, près de ses parents. Son papy lui avait fait découvrir l'île et, sans lui, ça n'avait plus de sens. Il y a aussi le chat qui traînait tout le temps ici et qui n'est plus là. Ce n'était qu'un chat mais William l'aimait bien. Et son ancien pote Antoine qui n'a pas les moyens de reconstruire à partir de rien, et qui ne lui cause plus parce que la comparaison sonne comme une injustice.
Puis, viennent les questions et, avec elles, je continue à percevoir le moteur vrombir sous le capot. Par mails, nous avions évoqué ma maigre expérience de serveuse d'été, ma volonté de combiner bénévolat et travail rémunéré, ainsi que mon intérêt pour l'île, sa réédification et ses habitants. Il me répète que mon métier initial d'infirmière me donne un savoir et des compétences toujours utiles en cas de problème. Ensuite, il m'expose l'organisation journalière et les possibilités pour moi. Puis, il me fixe avec une certaine intensité, et me lance :
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Demain Je Repars à Zéro - #DJRAZ
רומנטיקהMila vient d'avoir trente ans et plus personne ne l'attend le soir. Son ex-amoureux en aime une autre et ses parents dorment désormais sous une terre trop épaisse. Ne reste qu'Ivoire, son fidèle labrador, et son quotidien d'infirmière qu'elle ne sup...