Chapitre 2 partie 1

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Je voudrais pouvoir vous dire que je n'ai pas été blessée, que ma poitrine n'a pas été criblée de coups et que mon visage n'a pas été ensanglanté. Je voudrais pouvoir vous crier haut et fort que ces durs à cuir m'ont sauvée de cette rue horrible. Mais je vous mentirais comme je me mens à moi-même lorsque je m'invente un monde sans violence. Mon esprit a très vite quitté ma chair quand ils m'ont attrapée puis matraquée. « Calmez-la » avait dit Sans Cheveux. Avais-je réellement besoin d'être calmée? Trop faible pour me débattre, trop maigre pour avoir ne serait ce qu'une once de force, je n'ai pas bougé quand ils m'ont saisie. Aurais-je dû? Je n'en sais rien mais une chose est sûre c'est que je n'en étais de toute façon pas capable. Ça fait au moins deux années que ma peau se mêle aux pavés. La plupart des affamés meurt après quelques mois, certains quelques semaines. D'autres vivent une éternité sans jamais en sortir. Je faisais partie de ces éternels, bien que je sois la plus jeune.

Quand je m'évanouis, je suis enfin tranquille. Je n'entends plus les cris ni les pleurs, je ne ressens plus la souffrance qui joue avec cette rue comme à la corde à sauter. On espère que tout s'en aille pendant une courte période, la corde à sauter monte mais la chute arrive aussi vite que l'espoir a pu émerger de nos têtes. Et, tout le monde tombe malade.

Je voudrais pouvoir tomber dans les pommes plus souvent, plonger dans un néant sans fin sans pour autant que la vie ne me quitte. Tout est tellement plus facile quand on est inconscient. On n'a pas besoin de réfléchir ou de se battre pour avancer. On n'a pas besoin d'avoir peur ou de pleurer. Je suis juste apaisée, calme, flottante sur un nuage d'un court instant.

Contre ma volonté, mes yeux finissent par s'ouvrir et je reprends mes esprits petit à petit. Je ne ressens pas le vent, ni la puanteur. Rien ne vient perturber mon réveil. Si ce n'est une chose, un choc violent contre ma joue.

«Réveille-toi négresse tu n'es pas ici pour flâner. C'est fini la débauche! »

Cet ogre m'a giflé. Il fait partie des deux durs à cuire qui m'ont attrapée. Je regarde autour de moi sans faire un bruit. Il y a des murs, entre le jaune et l'orange qui m'entourent. Aucune fenêtre, aucune source de lumière. Juste un fin matelas qui jouxte le sol.

Je n'ai pas le temps de somnoler un instant que déjà un deuxième choc me blesse. L'énorme monsieur me tire les cheveux jusqu'à ce que je n'aie plus le choix que de me lever et de le suivre en marchant difficilement.

Je ne crie pas, je n'exprime pas ma douleur. Il est inutile de montrer ce que je ressens, il n'en a pas besoin et je sais que si je ne me retiens pas la douleur apparaîtra d'autant plus. Parce que montrer ce que je ressens, c'est montrer mes faiblesses. Cet ogre ne saura jamais rien de mes faiblesses, il ne saura jamais rien de ce qui peut m'atteindre. Tirant mes cheveux, il me lance en avant sur le sol.

« - Tenez! Faites lui faire ce que le chef veut! »

Un groupe de personnes de tous les âges m'entourent. Ils ont tous l'air mal au point, souffrant du dos ou des jambes, des bras ou de la tête, chaque partie de leur corps a au moins un coup. Tous silencieux, arrêtent leurs tâches et une fois que l'ogre s'en est allé m'aident à me relever. Titubant, j'observe les décors qui m'entourent. C'est une énorme pièce. Une partie est réservée à la cuisine, où des effluves délicieuses émanent, une autre pour les produits ménagers, une autre pour les torchons sales et ainsi de suite. Chaque partie est réservée à une corvée bien particulière.

« - Comment t'appelles-tu ma belle ? » me demande une femme de la quarantaine qui a l'air de mener l'équipe.

Les larmes aux yeux, je retiens tout ce que je peux retenir des sentiments qui veulent sortir de mon corps.

« - Naya, je m'appelle Naya.

-D'accord Naya, moi je m'appelle Emeraude, tu es ici en tant qu'esclave domestique. Tu dois faire absolument tout ce que te demande le chef. Et je dis bien tout! Quand il ne te demande rien, tu restes avec nous et fais les tâches ménagères. Aujourd'hui, tu vas être en cuisine ça va? »

Je me tais et j'acquiesse. Je suppose que le chef n'est d'autre que Sans Cheveux.

Je suis la douce dame vers la partie cuisine. Elle me présente à un homme incroyablement grand, les muscles presque aussi saillant que ses côtes.

« - Voila Roger, écoute ce qu'il va te dire. Roger est le chef de la partie cuisine. Il sait comment ça fonctionne et quoi faire en cas de problème.

Emeraude me laisse toute seule face à cet homme impressionnant.

« - Je t'explique ma belle, ici chaque jour est une nouvelle expérience plus douloureuse que la précédente. Alors ne t'imagine pas que qui que ce soit puisse être agréable avec toi parce que ça ne sera jamais le cas. Tu ne seras jamais qu'un numéro, une esclave supplémentaire, des coups et du sang supplémentaire sur les mains de ces gens. Mais personne n'en aura jamais rien à faire de ce que tu peux ressentir, de ce que tu peux être et de ce que sont tes désirs. Tu pensais que c'était de la torture de vivre dehors, attends de voir comment ça se passe une fois à l'intérieur pour des gens comme nous. »

Je ne réponds pas, rien ne sert de parler quand ce genre de paroles te viennent. Elles me montent à la tête jusqu'a ressortir par mes yeux. Des larmes, encore et toujours des larmes. J'ai l'impression que je passe tout mon temps à pleurer. Je me croyais forte, je pensais être capable de retenir ce flot qui me submerge sans cesse ces derniers temps.

-Réponds-moi!

-Oui Monsieur.

-Je suis Chef! En cuisine, le responsable est appelé Chef!

-Oui Chef.

Je ne sais pas si je dois avoir peur ou prendre pitié de cet homme. Il est bien trop marqué par la vie, usé autour des yeux. Il a bien plus de cicatrices que n'importe qui ici. C'est peut-être pour ça que c'est le chef. Il en a vécu bien plus que tout le monde, il connaît cet endroit mieux que n'importe qui. Et tout ça se lit rien que dans ses yeux. Je suis désolée pour toi mon vieux, tu es sans doute ici depuis bien trop longtemps que ne peut le supporter le cerveau humain.

-Il est midi. Pour ton premier jour en cuisine on va faire simple, va ramasser avec Geremia et Daney les couverts de la table de Monsieur et de sa famille.

-Oui chef.

NayaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant