Chapitre 7

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« Les émotions les plus belles sont celles que tu ne sais pas expliquer. »

Charles Baudelaire

Jenna traverse la grille défraîchie du parc, tout lui semble plus vieux, plus ancien.

Est-ce son nouveau statut qui lui donne cette impression là ? En fin de compte être majeur change peut-être quelque chose... Elle qui s'est toujours demandée si du jour au lendemain une transformation mentale quelconque s'opérait, elle est assez surprise de cette bouffée euphorique qui l'anime quand elle se répète avoir dix-huit ans.

Mais Jenna ne se dit jamais adulte par égard à tous ceux qui en comprenant de travers pourraient s'imaginer avoir en face d'eux une personne pragmatique se tenant bien droite entre les piquants des normes. Jenna, elle, se moque bien de leur bienséance et de leurs regards chargés de mépris quand elle parle de son rêve. Elle rêve car elle vit, alors qu'eux ne sont encore qu'au stade de l'existence...

Le sapin se dresse face à elle, trônant seul au milieu d'une pelouse consciencieusement tondue. Jenna y grimpe sans s'arrêter à la dix-huitième branche. Elle continue à monter jusqu'à la cime de l'arbre.

Aujourd'hui, elle a besoin d'être au plus près de lui pour lui faire part de son projet. Jenna ne peut se contenter des branches les plus basses et les plus souples.

Alors assise sur la plus haute et la plus épaisse d'entre elles, son cœur cogne si fort dans sa poitrine qu'elle en tremble et craint de tomber. Mais c'est sa voix qui vibre quand elle lui annonce ce qu'elle compte faire.

« Salut, c'est moi... Encore une année n'est-ce pas ? On dit que la dix-huitième ouvre toutes les portes, mais je crois que c'est notre détermination qui les ouvre et cela qu'importe notre âge !

Il faut que je te dise quelque chose. Tu sais j'ai réussi, je l'ai fait ! J'ai terminé mon recueil, j'ai fini les dernières corrections la semaine dernière. Il m'aura fallu un an... Douze mois pour l'écrire et une vie pour le rêver, pour façonner chacune de ses lignes en une symphonie de sentiments, un caléidoscope d'émotions toutes plus vives les unes que les autres. Ce recueil c'est moi, c'est ma chair et mon sang. C'est toutes ces fois où je me suis révoltée, les fois où j'ai faibli et celles encore plus nombreuses où je me suis relevée...

Je l'ai nommé « Le Souffle des Mots », car ces poèmes sont une seule respiration, tantôt saccadée, tantôt apaisée. Des vers qui ne cesseront jamais de battre comme un cœur qui se précipite pour vivre. Comme ton cœur qui a tant battu avant de s'arrêter, comme le mien que je sens en chaque parcelle de mon corps, comme celui du monde qui un jour comme toutes choses s'éteindra... Chacun de mes poèmes est une veine où pulse le sang, mon inspiration en est le cœur !

Mais le plus dur reste à faire... Ecrire est une chose, écrire ce qui peut plaire en est une autre ! Mais qui ne tente rien n'a rien, alors j'ai fait une liste des maisons d'éditions auxquelles j'enverrai mon manuscrit. Il aurait été trop facile de s'arrêter ici, l'aventure n'est pas finie et je dois poursuivre ma route.

Je ne suis pas sûre d'y arriver mais je dois le faire ! Pour moi, pour toi et pour ma graine. Sinon je m'en voudrais de ne pas mettre lancée, de ne pas avoir tenté ma chance...

Il y a des défis qui valent le coup d'être relevés, qu'importe quelle en sera l'issue. Je sais que même en cas d'échec je ne me découragerai pas, mais j'ai peur de décevoir. Pourtant je ne peux pas oublier la fierté que j'ai vue dans les yeux de mes parents quand ils ont lu mon recueil. Ils y croient eux, alors je me dois d'y croire aussi. Ils m'ont donné les outils pour réussir, ils n'ont jamais méprisé mon rêve et n'ont jamais eu honte de mes choix d'avenir, désormais je veux leur prouver que leurs efforts n'auront pas été vains !

J'ai du mal à y croire, je touche mon rêve du doigt. Il n'a jamais été aussi proche... Alors c'est décidé ! Demain j'enverrai mon manuscrit aux maisons d'éditions concernées et j'attendrai leurs réponses. Mais je ne resterai pas les bras croisés ! J'ai tant à faire et tant de projets à mener que je ne sais pas par quoi commencer... »

Jenna n'a plus les mots pour exprimer son émotion. Les étoiles rient sûrement de cette poète incapable de dire tout ce qu'elle a sur le cœur... Mais quand on en a un aussi grand que celui de Jenna, est-ce vraiment surprenant de ne pas connaître les mots pour le décrire ? N'est-ce pas justement l'essence de la poésie de s'aventurer toujours plus loin dans le dédale de l'âme en proie à une agitation que la science ne peut expliquer ?

Jenna se sent vivante comme jamais auparavant, elle est consciente de chacun de sens affutés mais aussi de son éloquence émoussée. Alors, elle lui dit la seule phrase qui a un sens quand la situation dépasse les grands discours.

« Je... Je ne te remercierai jamais assez ! Merci... Merci... »

Les larmes coulent sur le visage de Jenna, non pas des larmes de tristesse mais celles qui se répandent sur le visage de ceux qui laissent parler leur cœur après un silence plein de bruit.

Alors le visage levé vers le ciel et les yeux embrumés par les perles de l'âme en plein désarroi, elle se lève sur sa branche pour surplomber ce parc qui les a vus grandir et s'approcher encore un peu plus de lui.

Et dans un souffle, celui de ses mots sûrement mais aussi et surtout celui qu'elle partage avec lui, elle lui réitère sa promesse car aucune parole ne peut mieux les lier que celle-ci...

« Je ferai grandir ma graine. Je réaliserai mon rêve. Je te le promets. »

Je te le promets

Je te le prometsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant