Je te le promets

Chapitre 3

« Vous étiez là, vous regardant, ne disant rien. Mais c'était le genre de rien qui signifiait tout. »

Jenny Han

Jenna attend devant le sapin.

L'heure n'est pas encore venue. Le soleil est tout juste en train de se coucher. Cette année, Jenna est arrivée en avance au rendez-vous. Ce n'est pas qu'elle est plus pressée que les précédentes fois, parce que pressée elle l'est toujours. Seulement aujourd'hui, elle a beaucoup à lui dire.

Jenna a quatorze ans et elle a l'impression d'être grande. Et incomprise aussi. Elle trouve ce monde dénué d'imagination et de couleurs. Les adultes la désespèrent, elle les trouve insipides et trop bornés.

Elle aimerait leur dire qu'ils ne savent pas, qu'ils n'ont rien compris, qu'ils ont tout raté, qu'ils sont vides parce qu'ils ont arraché la graine en eux.

Le soleil a sombré, remplacé par les étoiles et la lune qui l'attendent par delà les cimes. Alors Jenna grimpe à l'arbre. Elle s'assoit tout au bout de la quatorzième branche pour mieux voir le ciel. Les étoiles brillent, cela veut dire qu'il l'écoute. Même s'il l'écoute toujours.

« Bonsoir... »

Ce soir-là, elle marque une pause, le nez au vent.

« Tu sais j'entends ta réponse dans le silence. Ta voix ne s'est jamais tue pour moi. Elle est encore là, dans le creux de mon cœur. Comme un murmure constant qu'on ne peut éteindre.

Désormais, je sais. Je veux partager ma graine et c'est pour ça que j'écris et que je ne cesserai jamais d'écrire.

L'écriture c'est mon oxygène dans ce monde pollué, c'est mon bouclier face aux malheurs du monde, c'est mon abri contre les rafales extérieures.

L'écriture c'est ce qui me permet de sortir la tempête qui est en moi, l'ouragan qui agite mon cœur et trouble mes sens, le maelström qui fait virevolter ma plume sur le papier.

Tu sais, la prose ne me suffit plus. Désormais j'ai besoin de vers. Depuis que j'ai commencé je ne peux plus m'arrêter. Au début, c'était de petits poèmes pour offrir à des occasions puis c'est devenu plus que ça...

Toi, tu as toujours réussi à me comprendre malgré le fait que je ne sais pas exprimer mes sentiments, ou que je ne peux pas. Ou peut-être les deux... On ne me l'a jamais appris et je crois que je ne serai pas douée pour le faire de toutes manières.

Mais à l'écrit c'est autre chose. À l'écrit je ne réfléchis pas, plus rien ne me retient. Je me laisse mener par les mots que je ne peux prononcer mais que je peux déposer sur le papier.

Quand je prends le stylo c'est comme si le barrage cède. Mes émotions prennent le dessus et envahissent la feuille.

Quand j'écris, il n'y a plus que moi et moi seule. Les autres ne sont plus, ils ne m'atteignent plus...

Qu'importe ce qu'ils disent, je ne les entends pas. Ma bulle de poésie a grandi et désormais je me cache dedans. J'attends le bon moment pour sortir, quand ma graine sera assez forte.

Au début, je voulais te lire un de mes poèmes puis j'ai réfléchi et je me suis dit que non, que ce n'est pas assez puissant.

Ma graine n'a pas assez grandi pour cela. »

Jenna se tait, elle écoute le silence et tout ce qui fait que le silence n'en est pas un. Elle entend le murmure du vent sur les épines du sapin, elle entend le gargouillement à peine audible de la fontaine à l'entrée du parc...

Et puis elle l'entend lui.

Alors elle l'écoute, comme il le faisait pour elle. Sans un mot, sans un geste et avec le cœur. Et quand il a fini, les yeux de Jenna sont rougis par la veillée, par l'obscurité, par la fatigue...

Par tous sauf par des larmes.

Et sa voix est claire quand elle fixe son étoile du regard en murmurant tout doucement pour que ses paroles se glissent entre celles de la brise.

« Je ferai pousser ma graine. Je réaliserai mon rêve. Je te le promets. »

Je te le promets