Ursule le facteur n'aimait pas son travail. Ce qui l'irritait tant était les horaires. Le pauvre homme devait se lever de son lit douillet aux aurores afin de servir l'intérêt général et délivrer le courrier aux habitants de la petite ville dont tout le monde avait oublié le nom.
Avec l'arrivée des nouvelles technologies, la tradition de s'envoyer des lettres à la moindre occasion se perdait, et les jeunes et vieux facteurs comme lui avaient de moins en moins de travail. Le soir, avant d'aller se coucher, Ursule avait l'habitude de s'installer devant sa petite table et d'allumer son petit ordinateur afin de surfer sur le net, car il était un homme moderne et connecté. Son activité numérique préférée consistait à discuter en ligne avec d'autres facteurs dans le monde via le FOF (Forum Officiel des Facteurs). Sur ce site, divers postiers postaient leurs témoignages, se désolaient des traditions qui se perdaient et de la disparition imminente de leur art. Ursule, lui, réagissait fort différemment. Il enviait les facteurs du monde entier, car c'était un gros paresseux, mais on ne le virait pas car c'était le seul facteur de la ville, il n'y avait pas de remplacent (un peu comme dans l'Education nationale). Malheureusement pour lui, la petite ville dont tout le monde avait oublié le nom se trouvait être le seul endroit où l'envoi de lettre était très tendance.
Ce matin, quand Ursule partit chercher les lettres à la poste, il remarqua qu'il y en avait certaines dont l'allure n'était pas habituelle. En effet, un grand nombre d'enveloppes étaient dorées. Après un moment de confusion causé par la surprise et les Miel Pops périmés ingurgités plus tôt dans la matinée, le postier se rappela à quelle période de l'année on était. Les enveloppes dorées qui se situaient dans le sac étaient en réalité des invitations pour la fête annuelle de la très riche et très snob Ludivine Ragondin. Chaque année, Mme Ragondin, la plus bourgeoise des bourgeoise, organisait une grande fête au comble du chic dans sa fabuleuse demeure. Chanceux étaient ceux qui parvenaient à se faire inviter, l'évènement réunissant les personnalités les plus glamours de la ville. La bonne femme se donnait un défi chaque année, celui de réaliser un projet et de le dévoiler lors de la fête. Mais tout le monde, y compris Ursule (qui ne se faisait jamais inviter car il n'était pas glamour), savaient que ces défis lui servaient surtout pour exposer sa richesse aux yeux du monde.
Ursule commença sa tournée matinale par les quartiers les plus huppés, où il déposa une enveloppe dorée dans quasiment chaque boîte aux lettres. Vers la fin de la matinée, il ne lui restait plus que le quartier Banal Et Ordinaire à faire. Il regarda dans son sac : les dernières lettres étaient toutes banales et ordinaires. Cependant, un éclat couleur d'or qui se situait tout au fond de sa besace attira son attention. Il écarta le courrier blanc et ennuyeux et se saisit du papier à paillettes. Il restait une invitation. Mais qui Mme Ragondin avait-elle bien pu inviter de si banal et ordinaire ?
Ursule eu sa réponse quand il s'arrêta devant la dernière maison du quartier : celle de Pivoine Pullover, la fille la plus banale et ordinaire du quartier banal et ordinaire. Le facteur haussa les épaules et glissa l'invitation dans sa boîte aux lettres. Après tout, il était simplement facteur. N'étant pas un personnage important dans l'histoire, il n'avait pas le droit de donner son avis.
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La fête très très bourgeoise de Madame Ragondin
HumorChaque année, Mme Ragondin, la plus bourgeoise des bourgeoises, organise une grande fête au comble du chic dans sa fabuleuse demeure. Chanceux sont ceux qui parviennent à se faire inviter, l'évènement réunissant les personnalités les plus glamours d...