One shots

numéro 3

numéro 3:

15:08

Encore lui. Il attise ma curiosité. C'est un des mes meilleurs clients, il vient une fois tous les trois jours. Il me parle toujours « d'elle » sans que je n'aie jamais pu mettre un nom sur son visage, il est sacrément accroc. Je suis curieuse parce que, en vingt ans de métier, des mecs en rupture amoureuse, j'en ai vu. Idem pour les gars qui oublient pas après un an voire deux, ils ressassent infiniment les souvenirs mais, s'en sortent à la fin des séances recommandées. Je m'étais dit que pour lui 5 séances suffiraient. On en est à la vingt-cinquième aujourd'hui.

Je comprenais simplement pas comment cet homme, ayant l'air si rude, pouvait en fait être touché à ce point. En fait, les hommes d'apparence dure sont souvent sensible, mais parviennent à sortir d'une rupture en quelques mois. Cet homme là n'avait rien vécu avec la femme dont il me parlait, il n'y avait pas eu rupture, il n'y avait rien eu. Enfin si, ils s'étaient mis ensemble et leur vie de couple avait été perturbée par la fille de monsieur, revenue vingt ans plus tard pour connaitre un père qui ne l'avait jamais reconnu -il avait fini par oublier son existence et celle de sa mère- et de ce fait, sa « femme » avait eu des soupçons sur son honnêteté et il l'avait quitté. Il n'y avait dans cette histoire aucun détail troublant, marquant voire traumatisant. Il devrait l'oublier normalement.

Et même lorsqu'une autre femme vivait chez lui, c'est elle qu'il avait en tête. Je lui avais conseillé de ne plus se mêler de ses histoires, de coeur, ou personnels, juste de bosser avec elle. Il avait promis de tenir promesse, et il était revenu, la semaine suivante, me disant, moitié septique, qu'il allait se marier avec elle pour adopter une enfant.

Il se persuadait qu'elle l'avait enfin choisi, et qu'ensemble ils vivraient heureux et unis.

C'était pas mon avis. Je l'imaginais avare et, je devais l'avouer, monsieur Marquand me plaisait. Il était bel homme, et son âge mur le rendait plus attirant. Les jours passaient et je ne le revis plus. "Surement à cause de sa « femme » " pensais-je.

J'étais accroc, aussi je devais l'avouer. J'avais son nom, son lieu de travail : le 36 Quai des Orfèvres. La semaine qui vint après celle de ma réflexion, je m'y rendis.

Mon coeur fut brisé, à nouveau.
Je déteste les hommes depuis mon mari. Ce salaud qui faisait de moi sa chose, marquait ma peau d'une couleur bleue tournant au violet, m'a réduite à néant.

Monsieur Marquand était différent. Il n'avait jamais douté de son impact sur les femmes mais ne s'en servait qu'a bon escient. Il n'était pas violent et j'avais détecté chez lui, une tendresse envers la gente féminine, presque de l'admiration... Il me faisait rêver c'est certain.

Au quai des Orfèvres, je l'avais retrouvé, et je l'avais vu enlacer cette femme, correspondant à la description qu'il m'avait faite. Magnifique, visage parfaitement formé, yeux verts émeraudes... Il l'étreint avec une telle pudeur, une telle sensibilité... Mes mots en furent coupés. Lorsqu'il recula sa tête, je vis un regard brillant et admirant. Je compris que sa vie ne serait jamais pour aucune autre qu'elle.

Je rentrais chez moi. Ressortit quelque chose qui ne m'avait pas servi depuis des mois.

Un paquet blanc scindé par un triangle rouge.
L'inscription « fumer tue » sur la boîte.

Je prit un bâtonnet, un briquet bic bleu avec un bonhomme, fit tourner le petit roulement et enfin, le feu jaillit de l'appareil. La flamme vînt caresser le bout de mon stick et l'alluma.

La fumée envahissant mes poumons, le corps penché au dessus du balcon, je n'avais plus peur de rien, même le vide sous mes pieds paraissait ridicule. Si ridicule que je basculais, en m'abandonnant. Ma vie n'avait été que désastre et j'avais passé cette dernière à tenter de réparer celle des autres, sans même constater que la mienne n'était que carnage.

numéro 3
« disaster »
26.05.2018
04.06.2018