Tu vas faire un carton, carton, carton...
Au guidon de ma bicyclette jaune, je rentre avec ce mot qui tourne en boucle dans ma tête. Un carton ! Je passe le portail et m'apprête à rentrer chez nous. « Chez nous » ! Je répète à haute voix ces deux mots et réalise que mon appartement est, pour moi, devenu notre appartement. Je chantonne et esquisse un pas de danse en m'avançant vers la porte principale. Tu as changé ma vie, mon amour. Aujourd'hui est un grand jour : ce soir, j'ose te déclarer ma flamme. Ce soir, je t'invite au resto. Un vrai restaurant avec de jolies nappes, une multitude de couverts, d'élégants serveurs et un menu digne des plus grands palaces.
D'abord, nous allons fêter l'enthousiasme de mon éditeur. Ensuite, je t'offre mon cadeau : une petite bande dessinée évoquant notre rencontre près de l'étang, notre douce nuit, nos retrouvailles au soleil levant, ton pseudo emménagement, notre tandem orangé, notre complicité, notre travail acharné, et pour finir moi agenouillée devant toi, t'offrant mes dessins et mon amour. Une dizaine de pages en couleur à ce jour ! Les suivantes nous les dessinerons ensemble, je l'espère. Je suis enfin prête. Quasiment réglés les problèmes pour boucler mes fins de mois. Définitivement oubliée cette petite peste qui m'en a fait voir de toutes les couleurs. Tu es si différente, douce, attentionnée ! Tu as de vraies valeurs ou du moins les mêmes que les miennes : la loyauté, l'honnêteté, le respect. Et ce côté classe qui me fait craquer ! Et puis, même si j'ai du mal à le reconnaître, il y a cette attirance physique. Ce petit plus, qui fait que, chaque jour, j'ai de plus en plus de mal à ne pas te rejoindre dans ta chambre. Je t'aime, je le sais depuis longtemps, il est temps pour moi de me laisser aller. J'ai peur. Et si toi, tu ne ressentais que de l'amitié ? Et si tu ne voulais pas t'engager ? Et si ! Et si ! Je dois foncer, oser me déclarer avec élégance. Je me connais : un jour, je ne vais pas résister et tout gâcher.
Je grimpe les quelques marches et tombe nez à nez avec la voisine d'en face. Je souris : un vrai sourire hypocrite, je ne l'aime pas beaucoup. Cette façon qu'elle a de fourrer son nez partout m'insupporte ! J'entre très vite chez nous, avec cette furieuse envie de lui crier : « Tu veux visiter ? ». Non mais, c'est vrai quoi ! Un jour, elle se fera une luxation du cou à force de se contorsionner pour mater chez les autres. L'appartement est silencieux mais des volutes de ton parfum me signalent ta présence récente. Je jette un œil à l'horloge murale : quinze heures. Comme mon éditeur était pressé, je suis rentrée beaucoup plus tôt que prévu. Sans doute es-tu revenue manger et tu as dû repartir travailler assez tard. C'est étrange ! Ton ordinateur n'est pas sur la table du salon. Mais où sont passées mes chaussures ? Je suis partie tôt ce matin, tu as dû ranger mon bordel organisé, comme tu dis. Bientôt, pour la paix de notre couple, il faudra louer un appartement plus grand ou, mieux encore, une petite maison dans laquelle j'aurai mon bureau et mes placards. Et nous prendrons une femme de ménage aussi. Je ne sais pas comment tu fais pour supporter mon désordre et encore moins mon manque d'enthousiasme quand il faut nettoyer !
Comme notre logis me semble vide sans toi ! Je pose mes affaires et me dirige vers la salle de bain, en commençant à me dévêtir. Le pull par dessus la tête, je ne remarque pas de suite l'absence de tes produits de beauté sur le rebord de la fenêtre. C'est en voulant faire couler l'eau quelques secondes, pour éviter la douche glaciale, que je prends conscience que quelque chose manque. Mon sang se glace. Je regarde l'étagère des serviettes. Où est ton drap de plage ? Où est ton sèche-cheveux ? Je sors précipitamment de la salle de bain et me dirige vers ta chambre. Je tremble. J'hésite à ouvrir la porte : la peur de ce que je vais découvrir me paralyse.
J'inspire et ouvre en grand. Un coup d'œil circulaire... Où est ton livre, habituellement posé sur la table de chevet ? La porte de ton armoire est fermée : je l'entrouvre. Vide, l'armoire est vide ! Un frisson me parcourt. Je me retourne et ouvre le tiroir de la commode. Vide ! J'ouvre les trois tiroirs du dessous. Vides... La commode est vide. Prise d'un vertige, je m'assieds sur ton lit, le temps de reprendre mes esprits. Tu as tout emporté. Tu es partie. Tu es partie comme ça, sans même une explication, sans même un mot. Je n'ai pas fait attention s'il y avait quelque chose sur le bar : c'est là que tu me laisses la liste des courses ou tes idées pour les dialogues des bandes dessinées. Je me précipite en zigzaguant jusqu'à la cuisine. La tête me tourne encore.
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Prémices - Ecriture à quatre mains
RomanceJe vous propose le partage de quelques textes écrits à quatre mains avec Alexandra Mac Kargan. De petits textes sans prétention, juste pour vous faire passer un bon moment, au gré de nos divagations littéraires !