Quelle journée !

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— Maman ! Regarde la dame : elle est en petite culotte !

Je me retourne sur le garnement, sa mère m'interpelle avec dédain :

— Mais mademoiselle, vous pourriez vous vêtir décemment. Il y a beaucoup d'enfants dans cet hôtel !

Je ne réponds pas, bien trop préoccupée. Où es-tu ? Tu ne peux pas avoir disparu sans un mot. Pas après une telle soirée, une telle nuit. Je vais retourner dans ma chambre et te téléphoner, tu dois avoir eu une urgence. Un dernier regard pour le môme trop observateur : il me dévisage éhontément. Je lui tire la langue. Non mais, sale gosse ! Je ne suis pas qu'en petite culotte d'abord, j'ai un tee-shirt aussi. Court certes, mais un tee-shirt quand même.

Bon, comment je suis arrivée ici, déjà ? Ah, oui ! Première porte à droite. Au bout du couloir, je tourne à gauche. Devant les portes des ascenseurs, je vérifie une dernière fois : aucune petite brune, à l'horizon. Troisième étage, je jette un œil à la ronde : personne. Chambre 312 : personne. Heureusement que la chaîne d'hôtel a investi dans ces bracelets électroniques : avec l'affolement, j'aurais laissé la clé à l'intérieur. En plus du « sale môme » et de sa mère, j'aurais dû affronter le regard lubrique du réceptionniste.

J'attrape mon téléphone, le déverrouille, vérifie mes SMS : rien ! C'est en recherchant « Yaelle » dans mes contacts que je réalise : tu m'as appelée en numéro masqué. Rien, je n'ai rien pour te contacter : pas de nom, pas d'adresse, pas de numéro. Je suis à deux doigts de jeter mon portable par la fenêtre.

Respirer profondément : se calmer d'abord, réfléchir ensuite. Bien vérifier que tu n'aies pas laissé un petit mot, me souffle la voix de la raison.

Sur la table de chevet : ton esquisse de moi. Je suis ébahie par la finesse et la précision de tes traits. En tant que modèle, cela m'est difficile de juger mais j'ai l'impression que tu as fait ressortir mon âme, en quelques coups de crayon. Aurais-tu, toi aussi, ressenti cette sensation de me connaître depuis toujours ? Dès le début de notre repas, nous avons été en phase, riant des mêmes bêtises, nous agaçant des mêmes injustices, nous émerveillant de notre grain de folie respectif. Alors évidemment, quand tu m'as proposé de faire mon portrait dans un endroit calme, nous avons atterri dans ma chambre d'hôtel. Et puis, bien sûr, je n'ai pas résisté bien longtemps à tes baisers enivrants...

Des bruits de pas dans le couloir me tirent de ma rêverie. On frappe, je me précipite et ouvre juste à temps pour voir mon voisin enlacer une jolie petite brune. En refermant la porte, je l'envie, je suis dépitée : il faut que je m'occupe. Le mot ! insiste ma petite voix intérieure. Je retourne tout : la salle de bain, les tables de chevet, la commode, le lit. En retournant la couette, je me souviens de ta douceur, de ta quasi-tendresse envers moi. C'est impossible... Tu n'es pas partie comme ça, sans un mot, sans un geste. Tu n'étais pas une fille d'une nuit pour moi, je n'ose imaginer avoir pu l'être pour toi.

Comment ai-je pu abandonner mes valeurs à ce point ? Ma première et seule petite amie était ma meilleure amie. J'étais amoureuse d'elle depuis des années avant qu'on ne se retrouve dans un lit. Malheureusement, la vie nous a séparées, petit à petit. Elle, en pleine ascension sociale. Moi, en pleine dégringolade. Notre séparation inévitable a parachevé ma descente.

Un mois que j'erre sur les routes de France, que j'ai abandonné la grisaille normande pour le chant des cigales. Sans travail, en pleine recherche d'un avenir, reniée par ma famille. Je suis à deux doigts de finir sous les ponts mais je suis enfin libre. Je détestais mon métier : architecte, comme papa. Dans ma famille, que des scientifiques alors que moi j'étais une rêveuse, une créative, une timide de surcroît. Je souris : ma pauvre Barbie, elle en a vécu des histoires. J'aurais dû me rebeller, me révolter : je n'ai pas osé. Résultat dix ans plus tard : l'ennui, le manque de motivation, le renvoi. Ajouté à ça, un coming out raté et à plus de trente ans vous partez sur les routes avec de maigres économies.

Prémices - Ecriture à quatre mainsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant