V. La tristesse de l'océan

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Je n'ai jamais aimé les jours de pluie. Personne n'aime les jours de pluie. Les gens s'en plaignent constamment en disant qu'ils seraient bien mieux chez eux, sous leur couette à se gaver devant la dernière série Netflix plutôt qu'à être dehors pour le boulot.

Je n'ai jamais aimé les jours de pluie, sans doute parce que ça me la rappelait à chaque fois.

Elle, elle n'était pas comme les autres. Elle aimait ça. Jouer dehors. Attendre sous le torrent. Courir impunément en riant tandis que nos deux mains se tenaient farouchement.

Je n'aime pas la pluie. Je hais ça. Je ressemble à un chien trempé avec les cheveux plaqués sur le front.

Alors pourquoi suis-je dehors à courir comme le dernier des abrutis à la rescousse d'une fille qui n'a rien d'une demoiselle en détresse ? Je suis presque certain qu'elle peut s'en sortir toute seule. Un coup bien placé dans l'entrejambe et le tour est joué ! C'est pas si compliqué, elle a juste à lever la jambe.

Ah non, non Camille. Ne va pas t'imaginer des choses, c'est mauvais pour ton coeur déjà en miettes.

Quand j'atteins les rochers près de la plage, j'entends des cris et d'autres bruits bizarres et quand j'arrive, ce n'est pas sans surprise que je vois trois mecs à terre, gisant dans la boue tandis que Camille, toute décoiffée, au chemisier déchiré, les fusille du regard, les poings serrés.

Y'a pas à dire, elle assure.

"- Ça vous apprendra bande de gros pervers !"

Soudain, nos regards se croisent et j'aperçois un léger filet de sang s'écouler lentement le long de sa tempe droite. Elle s'est cognée en se battant ?

"- Oh ! Vous !

- Vous...Vous saignez...

- Ah ?"

Sans doute ne s'en est elle-même pas rendue compte vu sa réaction.

"- Aaaah ! Mon visage ! Mon si joli visage !"

Elle donne un grand coup de pied dans le plus gros et me rejoint en se frottant là où est la plaie.

"- Vous allez me le payer ! Vous m'entendez ?! Vous allez me le payer !

- Bon, allez, venez, on s'en va !"

Je l'attrape et l'entraîne avec moi...chez moi.

Mais qu'est-ce qui me prend tout à coup ? Pourquoi je l'emmène ? Elle pourrait rentrer chez elle toute seule comme une grande, elle a l'air de gérer la situation et puis cela ne me semble pas très grave comme blessure.

"- Restez ici"

Je l'assois sur une chaise de la cuisine et cherche de quoi lui désinfecter le visage. Heureusement pour moi, j'ai encore un pansement qui traîne dans un tiroir de la salle de bain. Je me coupe souvent quand je plonge, alors autant dire que je suis équipé.

Quand je reviens, son regard est perdu dans la pièce. Elle regarde la déco ? Elle juge ? Elle doit certainement se dire que c'est vraiment mal entretenu, normal, un homme seul vit ici.

"- C'est sympa chez vous.

- Merci. Bon levez votre tête que je puisse voir ça."

Au même moment, ses yeux se perdent dans mes yeux ou plutôt est-ce l'inverse, je ne sais pas trop, mais l'espace d'un bref instant, j'ai croisé ses iris bleus. Bleu comme l'océan. J'ai eu l'impression de m'y noyer.

Alors pour me sortir de là, tentant de reprendre le contrôle de moi-même, je lui passe sans ménagement le désinfectant sur la pluie, lui arrachant un "ça pique" et lui colle le pansement dessus. Ni vu, ni connu. Dans une semaine elle n'aura certainement plus une marque.

Camille + CamilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant