XIV. Fleur Bleue

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Je crois que je me suis toujours cherché des excuses. Pour absolument tout. C'est bête, mais il n'y a pas si longtemps de ça, je ne voyais pas ma vie sans Hortense et je me disais, comme pour me convaincre, que tout dépendait d'elle. Mon être entier dépendait d'elle. De ses souhaits. De ses envies. De tout. Je me suis accroché à elle et sans doute, l'ai-je étouffée. Sans doute m'a-t-elle fui pour ça.

Parce que je n'ai pas su voir plus loin. Parce que le fait d'être autant attaché à elle faisait de moi quelqu'un de trop centré sur lui-même. Je me faisais passer avant en fait.

Et même si elle était là, devant moi, je l'ai oublié.

Oui, peut-être qu'au fond, tout ça, c'est aussi un peu de ma faute.

Profitant alors de sa tromperie, je me suis enfoncé plus bas que terre en me disant que je n'arriverais sans doute pas âme relever. Que je ne trouverais pas mieux de toute façon et que je ne le méritais pas.

Donc je me suis venu m'enterrer ici. Au beau milieu de nulle part. Au bord de mer.

Je déteste la mer. J'ai toujours détesté ça.

Si un jour, j'ai aimé, c'est parce qu'elle aimait ça et que ça lui faisait plaisir qu'on y aille. Mais moi, j'ai toujours eu horreur du vent marin et du sable qui colle de partout et qui se coince même entre la raie des fesses.

Pourtant, me voilà. Au bord de mer. J'aurai pu partir à la montagne, vivre comme un ermite dans une grotte, loin de tout, mais je suis venu là. Faire face à l'océan en ayant l'impression qu'en le regardant, qu'en lui faisant face, je lui faisais face à elle.

Alors, naturellement, en criant haut et fort ma colère, ma douleur et ma peine, j'eus l'impression qu'elle l'entendait aussi.

Et le temps d'un bref moment, je me suis senti libéré.

Comme si enfin, ma vie m'appartenait de nouveau. Que je n'avais plus de contraintes, plus personne à qui rendre des comptes. Je me suis senti bien comme cela ne m'était pas arrivé depuis longtemps. C'est terrible à dire. Parce qu'en réalité, je nous ai tué tous les deux, à petit feu.

"- Vous allez faire la gueule longtemps ? Non parce que ça fout le cafard à tous ceux qui vous regardent.

- Les gens n'ont qu'à regarder ailleurs."

Un soupire lui échappe tandis qu'elle pose l'assiette devant moi et je me surprends à lever la tête, fusillant du regard tous ceux et celles osant regarder dans ma direction.

Quoi ? Vous voulez ma photo peut-être ?

"- C'est quoi ?

- Ragoût du chef !

- Mais sinon ? Concrètement ?

- C'est de la viande et des légumes, c'est bon pour la santé. Ça ne va pas vous boucher le trou du cul non plus.

- Vous êtes si charmante quand vous vous y mettez.

- J'essaye de m'aligner sur votre humeur du jour. Ce n'est pas si compliqué pour moi. Laissez-moi deviner...Vous y pensez encore ?

- A quoi ?

- À elle !"

Le problème avec le fait d'être au beau milieu de nulle part, c'est que vous finissez toujours par rencontrer une personne encore plus bizarre que vous.

Moi, en l'occurrence, j'ai trouvé Camille. Et je ne sais pas si c'est dû au fait que nous ayons le même prénom alors que c'est une fille et moi un gars, mais elle peut lire en moi comme dans un livre. A chaque fois ça me déstabilise, mais après coup, je me dis que ça fait du bien. Ça fait un bien fou d'avoir quelqu'un qui comprend sans que vous n'ayez rien à dire.

"- Elle m'a demandé de vos nouvelles.

- Ah ouais ? Je lui manque déjà.

- Je suppose qu'elle suspecte que vous et moi nous ne sommes pas réellement un couple.

- Notre couverture est donc grillée, hein ? Dommage. J'aurai aimé jouer à "papa et maman" plus longtemps.

- Sérieusement ?

- On ne va pas se mentir, tout à fait entre nous, vous n'êtes pas dégueulasse comme garçon. Vous n'allez pas me dire que depuis que vous êtes ici, il n'y a pas eu de demoiselles vous faisant les yeux doux tout de même ?

- Hmm...Je n'y ai pas fait attention.

- Mon pauvre Camille, vous êtes plus désespérément que je ne le pensais. C'est malheureux."

En fait, je n'ai pas pris le temps de regarder.

Mais peut-être Camille avait-elle raison.

"- Vous savez ce que l'on dit, non ? Quand on tombe du cheval, il suffit de se remettre en selle !

- Vous me dites sérieusement de m'envoyer en l'air avec la première inconnue que je trouve sur mon passage ?

- Pourquoi pas ?"

Je ne sais même pas si ça m'aiderait vraiment et puis j'ai oublié comment on fait l'amour à une femme. Je n'ai pas envie de baiser juste pour baiser. Je veux faire l'amour à une femme. Je veux l'emplir de mes sentiments et peut-être est-ce ce côté trop romantique ou fleur bleue qui me perdra.

Je n'en sais trop rien.

"- Donc si je vous proposais de faire l'amour avec moi, vous accepteriez?"

Soudain, elle éclate de rire. Ce fut brusque. On dirait que je l'ai prise au dépourvu.

"- Vous ne perdez pas le nord vous ma parole !

- C'est vous qui venez de me dire que...

- Ouais enfin...Je ne suis pas la seule nana du coin. Vous n'en avez pas une qui vous plait plus que les autres ?"

Voyons voir...

"- Si. Vous."

Est-ce trop prématuré ? Trop tôt ? Un peu trop amibiteux ? Putain je sais pas.

Je n'ai jamais été bon en drague, et chance pour moi, je n'ai jamais eu à draguer comme j'ai eu Hortense quasiment toute ma vie de jeune homme. Je n'ai jamais eu l'occasion de tester plusieurs méthodes ni de m'ajuster à ces dames si différentes les unes des autres.

"- Donc ? C'est oui ou c'est non?"

Non pas que je sois pressé, mais j'ai envie de savoir si j'ai une chance au moins.

Camille + CamilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant