4: Cinq de Coupe Inverse

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— Tu m'as fait peur, man ! s'exclama Dopé. T'as eu un blackout.
— Je vois ça...
Parlant de « voir », Roger sentit le PCP en lui faire effet. Tout son champs de vision était parcouru de distortions. C'était bizarre, lui qui était habitué à de simples stimulants. Les choses gardaient la même forme, l'hallucination se contenant dans la texture des objets. C'est là que les distorsions avaient lieu. Et c'était le festival de la distorsion !
— Crisse, ça prend combien de temps à embarquer cette affaire là d'habitude ?
— Entre une demi-heure et une heure... T'es déjà frost ?
— À qui le dis-tu ? dit Roger, avant d'éclater en rire euphorique.
Roger ne pouvait cesser de rire. Il n'avait jamais été drogué de cette façon et du coup, il appréciait l'expérience. Ça allait changer le mal de place ! Pourtant, Dopé ne semblait pas rassuré.
— Je voudrais que t'ailles voir Cocotte...
— Cocotte ?
— Une de nos amis, elle habite dans le bloc en haut. C'est une infirmière. Elle devrait être revenu de son travail.
— Pourquoi tu veux que j'aille chez elle ?
— Si tu es déjà frost de même, tu vas surement faire une overdose. J'ai vu ça une fois. Flageole se prenait pour un Jedi puis il a eu peur d'une grande serveuse blonde. Il pleurait sans arrêt en la pointant du doigt en disant : « Un mastodonte blond ! ».
Comme répondant à un appel, Flageole entra dans la cuisine et continua son anecdote :
— Mais c'était un mastodonte blond ! Elle mesurait huit pieds et devait peser quatre ou cinq tonnes !
— Non Flageole, elle mesurait cinq pied quatre à tout casser et elle était à peine toutoune.
— Mais pourquoi tu comptes ça à n'importe qui ?
— Je ne suis pas n'importe qui ! dit Roger, amusé. En fait, oui, je suis n'importe qui !
Et encore une fois, le drogué s'esclaffa bruyamment. L'idée de ne pas accorder autant d'importance à sa propre personne, à son identité, lui était hilarante.
— C'est un pas dans la bonne direction, dit un ange dans son esprit.
— Mets-en, p'tit bonhomme, s'écria Roger, à la surprise des deux amis présents.
— À qui tu parles ? demanda Flageola, mal à l'aise.
— Depuis ce matin, des anges me hantent, dit Roger, qui observait la texture des armoire en mélanine qui s'animaient tels des dessins animés.
Il y voyait des symboles ésotériques, une masse de chair informe qui gigotait et des silhouettes élimées aux allures sinistres. Jamais la mélanine n'avait été aussi intéressante dans l'histoire de l'architecture. Roger imagina des publicités à propos de ce matériau de construction banal sur l'effet de drogues dures et s'esclaffa tout seul sous le regard perplexe de Dopé et Flageole.
— Tu peux l'amener chez Cocotte ? demanda Dopé à Flageole.
— Ben là, c'est le shower de Solène... Je pense que c'est important que je sois ici...
— Je te demande de monter un étage, pas de partir en voyage dans les montagnes du Népal en faisant du break dancing.
— Ok, je m'en occupe.
Flageole se dirigea vers la sortie de l'appartement, suivit par Roger qui continuait de rire sans fin. Tandis qu'ils sortaient de l'appartement, le drogué se demanda pourquoi ce dénommé Flageole portait un chapeau en poil de moufette, la queue de l'animal pendant derrière le porte-chef. Il lui posa donc la question, entrecoupé de rires.
— Mon père était disparu en forêt dans le nord... Quand les secours ont retrouvé le corps, une moufette était en train de manger son cadavre... Ils ont découvert que c'est elle qui avait tué mon père. Tu comprends, fallait que je le venge. Puis comme Hercule qui porte la peau du lion, je porte celle de la moufette...
À l'écoute de cette histoire rocambolesque, Roger se demanda si c'était vrai. Ou s'il avait imaginé cette anecdote sans queue ni tête. Or, au visage abattu que Flageole affichait, il ne pouvait avoir menti. À moins d'être un acteur de haut calibre. Ce qu'il ne semblait être. Un idiot banal de haut calibre, peut-être, oui.
Dans un silence de malaise, ils montèrent les escaliers jusqu'au dernier étage du bâtiment. Flageole l'amena à l'appartement 609 et cogna à la porte. Après une seconde, une jolie demoiselle blonde habillée en infirmière ouvrit la porte. Elle gratifia Flageole d'un sourire et ils échangèrent la bise.
— J'allais me changer pour aller à la réunion pour le shower de Solène.
— Changement de plan... Je peux entrer avec Gérard ?
— Je m'appelle Roger...
— Entrez, entrez... Enchantée, Roger, dit Cocotte.
— Moi aussi, répondit le drogué avec un regard concupiscent.
Cocotte les invita à entrer et ferma la porte. L'intérieur de l'appartement était difficilement discernable d'une jungle. Des plantes en pot peuplaient l'endroit d'autres plantes grimpantes recouvraient les murs et les meubles. Les seules surfaces de mur qui n'étaient pas recouvertes par de la verdure se résumaient à des cadres avec des photos, des dessins ou des peintures de grenouilles. Et une mouche chiante tournoyait autours de la tête de Roger. Il aurait pu s'en débarrasser d'un simple geste, mais son attention était rivée sur la ravissante infirmière. Cette mouche était le dernier de ses soucis.
L'endroit était une mine d'hallucinations pour Roger. Davantage que la mélanine. Au sol, il y avait une ligne de fourmis qui déambulaient à la file indienne d'un sac à poubelle troué qui laissait s'échapper un jus infecte jusque sous le divan du salon. De les voir ainsi, il ne put qu'y voir une analogie entre eux et la société humaine. Tout le monde suivait le troupeau. Sans poser de question. En se droguant, Roger s'assurait qu'il ne suivait pas le troupeau.
— Au contraire, tu ne fais que suivre un autre troupeau. Et pas le plus reluisant, dit la voix de l'ange fillette dans sa tête.
Elle avait raison, après tout, se dit-il. Non, il ne suivait pas la majorité de la société, mais il suivait les mauvais schémas mentaux des drogués de tout acabit. Et cette pensée lui ramena deux idées en tête auxquelles il ne préférait pas penser. Premièrement, il ne voulait pas avoir à faire avec des anges. Deuxièmement, il frôlait déjà l'overdose. La journée allait être mouvementée. Et un troisième point fit son apparition : peut-être souffrait-il d'un cancer du cerveau ? Peu importait, son trip valait la peine !
— C'est Dopé qui veut que tu jettes un oeil sur lui, dit Flageole à Cocotte. Il a pris du PCP et il va surement faire une overdose.
— Comme toi.
— Oui, comme moi ! Lâchez moi avec ça, ça fait presque dix ans de ça ! Puis crisse, j'en prend plus du PCP, c'est pas comme si j'avais continué à en consommer !
— Fait pas le susceptible, c'est juste drôle pour nous autres ! J'aurais aimé ça être là. Bon, ok, je vais m'occuper de ton ami.
— C'est pas mon ami.
— C'est pas ton ennemi non plus.
— Ouain... Merci, on se voit peut-être plus tard ?
— Ça va dépendre de ce quidam qui se trouve entre l'ami et l'ennemi pour toi.
Flageole répondit d'un sourire forcé et quitta l'appartement. Roger continuait d'observer l'infirmière et il espérait pouvoir pousser assez loin sa relation avec elle pour se rendre dans son lit. Vu le nombre de fois où il avait déjà trompé sa femme dans le passé, il n'en était pas à une fois de plus ou de moins. Et vu la façon dont elle le regardait, il se doutait bien que ça ne serait pas trop difficile d'ajouter un trophé à sa liste de conquêtes. À moins que ce ne soit sa vision et ses processus mentaux qui soient brouillés par le PCP ? Surement.
— Je vais te donner un petit quelque chose pour t'aider à dégriser, viens avec moi, dit Cocotte en l'invitant à le suivre.
Sans attendre, il emboîta le pas et il suivit l'infirmière jusque dans sa chambre à coucher. C'était bien parti, se dit-il. Il n'aurait aucun remord à se taper une jeune poulette sexy, une infirmière de surcroit ! Le fantasme ultime !
Une fois dans la chambre, Cocotte enleva sa blouse, dévoilant son buste ferme retenu par une brassière noire sexy. Roger ne pouvait croire ce qui arrivait. C'était à croire que ses pensées avaient influencé les événements !
— Ta perception est influencé par ce que tu penses, dit la voix d'ange féminine dans sa tête.
— Je vais continuer de penser alors ! dit Roger à haute voix, remarquant aussitôt sa bévue.
— Quoi ?
— Rien, je me parlais...
— Si tu continues à penser autant, ta perception sera toujours aussi influencée. Tu ne verras rien comme c'est vraiment, dit la voix de l'autre ange.
Il en avait mare de cette sagesse séculaire indisposante. Pouvait-il simplement profiter de l'occasion ? Il avait beau être en début d'overdose, il voulait toucher et goûter cette jeune nymphe qui maintenant enlevait sa jupe, dévoilant une petite culotte aussi sexy que sa brassière.
— Tu peux t'installer dans le lit, dit Cocotte en détachant sa brassière.
Sans quitter du regard la plantureuse infirmière, Roger s'exécuta avec ravissement. Comme le salon, la pièce était infestée par des plantes de tout acabit. Les murs et le plafond étaient indiscernables dans cette jungle humide. Le grand lit queen était défait, le drap manifestement trop petit étant rattaché seulement sur deux coins.
Le drogué sentait l'effet du PCP augmenter en lui, c'était comme si une bombe nucléaire avait explosé dans chacune de ses cellules. Il n'avait pas mal, il n'était pas étourdit, il n'avait pas la nausée, mais le mal qui l'affligeait était au delà de tout stimuli physique. Il sentait la mort approcher.
Malgré tout, il tentait de focaliser sur Cocotte qui enlevait maintenant sa petite culotte. Elle était enfin toute nue devant lui. Son pubis bien taillé et ses seins aux mamelons hérissés étaient bien trop invitants pour se laisser aller dans la négativité, se dit-il. Maintenant assis sur le lit, il remarqua que le milieu du matelas était renfoncé par les années d'utilisation. Ça lui rappelait quelque chose... Et finalement, enfin, après de longues secondes d'attente interminables, Cocotte s'approcha et l'embrassa sur la bouche, sa langue humide cherchant furieusement la sienne. Ils s'embrassèrent brièvement et elle le poussa pour qu'il tombe mollement sur le dos. Elle monta sur lui et approcha lentement son pubis de son visage...
Et tout devint noir, encore une fois.

Au gré des tarotsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant