5: As de Denier Inverse

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Roger se demandait s'il était mort. Flottant dans le néant, au delà du temps, penser restait sa seule possibilité. Toutefois, jamais sa pensée n'avait été aussi claire. Il voyait avec acuité à quel point son psychisme était contaminé par l'ego et le conditionnement social. Or, il ne se jugeait pas non plus. Enfin, non, il jugeait, jaugeait, pondérait avec circonspection sa personnalité défaillante. Ses cinquante ans s'affichaient davantage sur son corps que dans son esprit. Ce personnage ridicule qu'il nommait « moi » méritait d'être affiner par la sagesse et la raison.
La mort restait le dernier de ses soucis. Il était bien dans cet état de grâce. En fait, jamais il ne s'était senti aussi bien. Finalement, la peur de mourir était risible.
Or, il n'était pas mort. C'est ce qu'il comprit en ouvrant les yeux. Et il sentit son ego revenir à la course dans son esprit. Il ne s'était pas ennuyé de lui, mais de retourner dans ces mauvais processus mentaux avait quelque chose de rassurant. Or, l'endroit où il se trouvait n'avait rien de rassurant : une pièce froide en brique ; couché sur un matelas de lit queen miteux avec des draps trop courts et souillés de plusieurs types de fluides corporels ; des trous dans les murs ; de la musique genre techno trash en sourdine dont les hauts-parleurs grinçaient d'agonie  ; des rats et des asticots qui grignotent un oiseau mort en décomposition ; un sac de poubelle troué qui laissait s'échapper un jus infecte ; un divan déchiré de toutes parts, dévoilant ses ressorts et sa bourrure ...
Roger se leva d'un coup, se demandant où il se trouvait. Son dernier souvenir était qu'il avait perdu connaissance tandis que Cocotte approchait sa vulve de son visage. Que c'était-il passé ? Depuis combien de temps avait-il flotté dans le néant ?
Il prit un moment pour s'observer lui-même. Ses mains sèches craquaient jusqu'à saigner. Il portait les mêmes vêtements, mais ils empestaient. En fouillant dans ses poches, un de ses ongles mal taillé se coinça dans les fibres du pantalon. Sensation désagréable, mais surtout, plus rien ne se trouvait dans ses poches. Plus de clés, plus de porte-monnaie, plus de drogue. Il pouvait aussi sentir dans son coup un diachylon inconfortable. Il le saisit et tira du coup sec pour el retirer. La douleur fut tellement vive qu'il cru que tous ses poils avaient été épilés et que trois épaisseur de son épiderme avait suivit la colle du diachylon !  En tâtant l'endroit où se trouvait le pansement, il ne découvrit aucune plaie ou blessure évidente. Pourquoi avait-il ce diachylon dans le coup ? Et depuis quand était-il collé à cet endroit pour faire aussi mal en le retirant ?
Avant même de pouvoir réaliser l'ampleur de ses tracas, un junkie entra dans sa chambre délabrée. Ses vêtements troués et le garrot autours de son bras convainquirent Roger qu'il ne s'agissait pas d'un ministre ou d'un homme d'affaire prospère.
— Ton ego juge trop rapidement, dit la voix de l'ange garçon dans sa tête.
Certes, il jugeait trop rapidement, mais il savait analyser les choses. Et comme pour lui donner raison, le junkie s'écria :
— As-tu vu mon fix, man ?
— Non... Mais, est-ce que tu peux me dire où on est ?
— Non, pas vraiment... Ha, tabarnack !
Le junkie dansait sur un pied. En grognant, il s'assied au sol et délaça une de ses bottes d'armées qui montaient jusqu'à ses genoux. Il retira son pied et en un soupir d'appréciation, il replaça son bas de laine. Il remit ensuite sa botte et laça interminablement de nouveau sa botte.
Et le junkie quitta la pièce aussitôt. Parce que oui, il s'agissait d'un junkie, jugement hâtif ou pas. Et Roger se dit que c'était le pire endroit pour perdre son porte-feuille. Sa carte de crédit entre les mains de junkies, ça ne pouvait qu'être une mauvaise idée. Roger entreprit donc de retrouver son porte-monnaie.
Il s'approcha du divan ravagé. Il se pencha pour observer le dessous, mais n'y trouva qu'un vieux raisin sec qui attirait une rangé de fourmis motivées. Ça lui rappela quelque chose, mais son esprit restait embrumé.
    — Tout est analogique, dit la voix de l'ange fillette dans sa tête.
    Comme il en avait marre de ces voix ! Toutefois, ce n'était pas son tracas immédiat. Il devait retrouver son porte-feuille. Il sortit donc de la pièce et se retrouva dans un couloir mal éclairé. La peinture des murs écaillait et les néons qui fonctionnaient toujours clignotaient irrégulièrement. La chaleur ambiante étouffait Roger, ce qui lui fit constater que ce n'était certainement plus l'hiver. Combien de temps avait-il été sans connaissance ? Et que c'était-il passé entre son overdose et maintenant ?
    Il déambula dans le couloir et une mouche vint tourner autours de sa tête. Quel insecte désagréable ! Il la chassa du revers de la main et continua son chemin jusqu'à la porte béante d'une autre chambre. L'endroit avait les murs peints en blancs, mais les ravages du temps et des occupants les avait rendus plutôt jaunes. Encore une fois, il songea a cette propension bizarre chez les humains de choisir cette couleur salissante pour des murs... Une table à pic-nique unique trônait au centre de la pièce, sur lequel reposait un téléphone à roulette branché au mur. Sa bouée de sauvetage !
    Roger s'approcha de la table qui détonnait avec le décors. Cette table était construite en bois d'acajou ! Elle devait bien valoir davantage que l'immeuble où elle se trouvait, songea-t-il. Et sa peinture n'affichait aucune trace d'usure. Comme si elle avait été mise là la veille. Et ce vieux téléphone, ça faisait des années que Roger n'en avait pas utilisé ! Fonctionnait-il toujours ? De cette façon, il pourrait contacter son entourage et en apprendre plus sur ce qui lui était arrivé.
    Sans plus attendre, il composa le numéro de téléphone de chez lui. Utiliser ce vieil appareil lui remémora des souvenirs d'enfance lointain. Le souvenir le plus vivace fut celui où il utilisait ce genre d'appareil pour appeler sa première concubine quand il était adolescent. Elle se nommait Gertrude. Gertrude Gontrand. Quelle jolie bout de femme ! Il se souvenait qu'elle possédait un gros chien, un genre de pitbull mélangé avec un bouledogue. Il racontait toujours la blague à Gertrude, une femme fontaine notoire, qu'elle éjaculait moins que son chiait bavait. Elle possédait également un chihuahua ignoble. Roger voulait sans cesse lui assener des coups de pied et prétendait que ce chien avait la vie sauve seulement parce qu'il appartenait à Gertrude...
    Finalement, la ligne chez Roger était occupée. Incapable d'attendre plus longtemps, il décida d'appeler chez Dopé. Peut-être qu'il pourrait lui dire ce qu'il lui était arrivé ? songea-t-il. Il signala le numéro du revendeur de drogue et encore une fois, se buta à une ligne occupée. Quelle était la chance que les deux lignes soient occupées ?
    — Tout est analogique, répéta la voix de l'ange garçon dans sa tête.
    C'était quoi cette foutaise ? se demanda-t-il. Surement rien à voir avec la technologie analogique... Peu importait. La priorité restait de contacter quelqu'un pour avoir des nouvelles... Roger décida donc d'appeler à son travail. Il signala donc le numéro et, enfin, le téléphone sonna ! Après quelques sonneries, la secrétaire du concessionnaire répondit, récitant le message de bienvenu protocolaire.
     — Salut Chantal, C'est Roger...
    — Roger Lafaille !? Tu es vivant ?
    — Oui... Pourquoi tu demandes ça ?
    — Ça fait quatre mois que tu es disparu ! My god, c'est brutal ça à matin !
    — Imagine pour moi, je viens de me réveiller... On est quelle date ?
    — Quelle date ? Crisse Roger, on est le 21 mars ! Tu as été disparu à peu près quatre mois ! Tu étais où ?
    — Je sais pas...
    Quatre mois dans le coma ? Parce que pour être inconscient aussi longtemps, il fallait être dans le coma ! Toutefois, quelqu'un savait ce qui lui était arrivé. Et il devait découvrir ce qui lui était arrivé.
    — Tu sais pas ? demanda Chantal, éberluée. Comment tu vas expliquer ça à Amélie ? Crisse, elle a vendu votre maison !
— Quoi ?
— Tu m'as compris... Puis, aussi bien que ce soit moi qui te le dise, mais, elle s'est trouvé un nouveau chum...
Roger ne savait pas comment prendre la nouvelle. Certes, il n'existait plus aucune passion entre eux, mais de savoir qu'un autre homme avait pris sa place le rendit jaloux.
— Réaction normale de ton ego, dit l'ange fillette dans sa tête. Sauf que ce n'est qu'une réaction. Tu dois le comprendre et surpasser le réflexe de cette construction mentale.
Comme il avait mare de se faire rabrouer par une simple hallucination !
— Que la sagesse soit délivrée par une hallucination ou quelqu'un en chair et en os ne change rien à la valeur de cette même sagesse, ajouta l'ange.
L'une des choses les plus ridicule qu'il ait entendu de sa vie ! Si tout le monde se mettait à croire ses propres hallucinations, le monde deviendrait chaotique !
De son côté, Chantal se lassa de cette pause téléphonique. Elle ajouta :
— Je suis désolée... Et, tant qu'à être la livreuse de mauvaises nouvelles, tu ne travailles plus ici non plus.
Encore une fois, Roger se demanda comment réagir. Le mieux à faire serait de simplement raccrocher, songea-t-il. Sans donner plus d'informations à la secrétaire, il déposa le combiné sur son socle et s'assied sur le sol. Il n'avait plus rien. Plus de porte-feuille, plus de drogue, plus de femme, plus d'emploie et plus de maison. Comment allait-il s'en sortir ?
— Focalise sur le présent. Pas l'avenir ou le passé, dit la voix de l'ange garçon.
Et est-ce que ces voix allaient se taire un jour ou l'autre ?

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 09, 2018 ⏰

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