« Le rêve des gens est toujours un rêve dévorant qui risque de nous engloutir (...).
Le rêve est une terrible volonté de puissance, chacun de nous est plus ou moins victime du rêve des autres ».
Gilles Deleuze
« L'histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellectuel ait élaboré.
Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines.
L'histoire justifie ce que l'on veut, n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient des exemples de tout et donne des exemples de tout ».
Paul Valéry
Reste une seconde, encore une seconde mais seule la dernière tue.
Le temps divise, fractionne, me consume. Distille des fragments. Sépare, fracture.
Coup d'estoc. Côtes brisées. Corps transpercé.
Cette femme est morte.
Elle me fixe. Son regard absent embrasse le mien. Sa pupille s'agrandit. Dans ses yeux, je vois la fin de notre monde. Sa tête s'incline vers son épaule. De ses lèvres sort un dernier souffle, vite emporté par les rafales. Son odeur froide me rejoint comme ses longs cheveux qui se mêlent aux miens.
Elle saigne. Un fluide écarlate inonde sa bouche. Il glisse sur mes mains. Coule vers les herbes asséchées du fjord. Les rocs absorbent les gouttes et ne les rendent pas. Je m'enracine dans cette pierre suspendue à la Mer de Freya.
Ma main tremble sur ma garde. Mon épée transperce le cœur de cette femme.
Je fais corps. Je tiens. Je ne lâche pas.
Mes pensées sont expulsées au loin, dans une vie sans sommeil où seuls ses derniers mots serpentent. Me guident vers des chemins qui ne mènent nulle part.
Je veux oublier cette vision, que le temps se fige.
Je ferme les yeux.
Je les ouvre de nouveau, elle est toujours là.
Cette femme est morte, cette femme ne reviendra pas.
Je ne discerne plus rien. Une couche de givre glace ma peau. Un voile de pluie m'empêche de basculer. Le vertige. Seules quelques pierres tombent, plus bas, sur les rifts tranchants, avalés et vomis par l'écume de vagues salées.
Je m'accroche au regard qui m'a vu pour la dernière fois.
L'un est mort, l'autre ne reviendra pas.
Des voix tournent aux cris et lacèrent mes tympans. Comme des couteaux qu'ils me plantent dans le dos. Pris, parmi eux, dans l'impasse, le cercle se ferme. Le cycle se termine. En aveugle, je suis.
J'accomplis leur volonté. Je formule des mots qui ne sont pas les miens. Je saisis leur lame à deux mains. Ils m'acceptent. Tel est le prix. Je deviens leur ombre. Celle qui se répand et fauche.
Je me vois en décomposition. Amputé.
Mon histoire m'échappe. Cet avenir ne m'appartient plus.
De tous les coups qui blessent, seul le dernier tue.
Je suis passé dans l'existence les yeux clos.
J'ai vécu dans la nuit.
Elle n'est plus à cause de vous et moi.
Qu'est-ce que je ressens ? Rien. Je ne ressens rien.
Ma femme est morte, ma femme ne reviendra pas.
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Niflheim
FantasyDans la Cité d'Arkona, la Pensée-Mémoire règne. Les rebelles utopistes sont exclus de la Ville Idéale, marginalisés dans les interstices, au milieu des égouts, dans la basse-ville de l'Insula. Les pensées de l'Utopie, du Khaotisme, de la Croyance, d...