Niflheim

X : De Profundis Domine (3/3)

Magnar tranchait la tête d'Ull pour la centième fois dans l'esprit de Garm. Ces visions s'enracinaient dans son crâne. Comme l'odeur de l'urine de Bjarni qui semblait toujours maculer sa peau malgré les bains successifs. Il avait perdu deux molaires et son visage tuméfié le brûlait encore. Il éprouvait le besoin de dormir des jours et des nuits entières. Il prit soin d'éviter tout contact avec Hersir, Ulrik ou encore Embla. Le récit de sa nuit à l'Insula méritait d'être éludé.

De Profundis Domine, le message d'Ull, l'Onirim des onirims, destiné à son frère. Fallait-il le délivrer ? Si oui, à quel prix ? Devenir l'ennemi de Rohsia. Et s'il désertait ?

Magnar présenta le seau devant Agaphia. La tête d'Ull sortait sa langue et nageait dans un mélange de crasse et de sang. La reine, aux yeux aussi creusés que ceux d'Ulrik, examinait la tête coupée. L'odeur pestilentielle ne semblait pas atteindre la souveraine.

Elle fixa le Sleipnir d'un regard lourd. Magnar comprit et empoigna le seau, dépassa les gardiens du Mimir, Hughin et Munin et descendit les marches du trône.

Malgré son envie de fuir, Garm admira les nombreuses fresques au plafond et sur les murs. Cette fois, les peintures se montraient moins menaçantes. Il les craignait moins que les femmes et les hommes du Palais.

- Vous avez fait ce qu'il fallait, dit la reine à Magnar, puis, se tourna vers Hughin et Munin. Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Les jumeaux lorgnèrent l'un envers l'autre et secouèrent la tête. Finalement, ils incitèrent les conseillers et gardes d'élite à quitter la grande salle.

Garm précédait Magnar et se rejouait intérieurement une future explication avec le Sleipnir. Les insultes de l'officier pendant le combat pour l'Ulfberth n'avaient pas été tout à fait digérées. Au moment où l'Utopiste allait franchir la sortie, la voix de la reine l'interrompit.

- Garm, frère d'Ymir, je veux que vous restiez.

Tous les yeux se tournèrent vers l'intéressé.

Ce dernier resta stoïque, ahuri : la reine de Rohsia connaissait son nom !

Lorsque la porte béante de la Salle du Trône claqua, laissant les sujets à l'extérieur, Garm se sentit pris au piège. Il s'inclina quand la reine dévala les marches. Sa toge blanche donnait l'impression qu'elle volait. Les ornements dorés sur ses bras, plastron et ceinture émettaient un bruit métallique. Agaphia balaya ses mèches blondes d'une main et s'adressa à Garm de nouveau.

- Vous étiez avec Magnar ?

- Hughin et Munin m'ont confié la mission de retrouver Ull, dit Garm en tremblant. Une étape avant la garde de Sleipnir.

Il tentait de dissimuler ses molaires manquantes.

- Pourquoi rejoindre la garde Sleipnir ? lui demanda Agaphia en dégageant ses cheveux rebelles et envahissants.

- Pour être à vos côtés.

Silence.

Agaphia baissa les yeux puis les releva et soutint le regard de l'Utopiste.

Elle approcha son doigt du visage tuméfié de son soldat et caressa la cicatrice en U. Puis, elle posa une main sur son avant-bras. Ensuite, elle se détourna et s'appuya sur une colonne.

- Relevez-vous ! ordonna la reine.

Garm s'exécuta.

- Quatre-vingt-huit Sleipnirs... poursuivit Agaphia. Sleipnir est le nom du cheval d'Odin à huit pattes, il portait le Dieu partout, dans tous les mondes. Ce sont des croyances révolues mais les superstitions sont toujours présentes. Si un Sleipnir disparait, un autre prend sa place.