Chapitre II : Utopiste

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Garm s'était éloigné de l'arène collée aux remparts de la capitale d'Arkona, sans un dernier regard vers son frère. Il recrachait le sable et passait sa langue sur la légère plaie de sa lèvre. Elle avait un goût de sang. Comme d'habitude, il n'avait pas eu la moindre chance face à Ymir. Ce dernier avait évoqué le passé de leur mère, Garm était donc parvenu à le déstabiliser. Ce qui lui procurait un maigre sentiment de satisfaction, dans l'attente du lendemain. Il songeait déjà au duel pour l'épée des élites comme une étape avant son admission dans la Garde Royale.

À proximité de l'Amphithéâtre, le domaine de Trelleborg s'isolait de la population aisée de la ville. Solidement gardé, le lieu abritait la plupart des garnisons : jusqu'à trois mille femmes et hommes. Les éclats de rire traversaient les murs, l'hilarité était due aux alcools frelatés fabriqués par les soldats. « Juste à temps », lui glissa le garde en écartant les portes marbrées aux articulations de fer.

Dans la cour, non loin du grand feu qui éclairait l'ensemble des protagonistes, une brute à la carrure imposante attirait les regards. L'individu était doté d'un cerveau, ainsi il était considéré comme la pire des brutes ; pour ce faire, il tabassait un ivrogne. Sa victime avait perdu un pari ou triché aux dés. Les témoignages différaient et la plupart avaient déjà noyé leurs consonnes dans le liquide.

Garm manquait de temps. La récente confrontation avec son aîné le privait de lucidité. L'épreuve approchait, des tensions naissaient entre les castes de soldats. Les prétendants ne découvriraient leurs adversaires qu'au moment du duel. Garm redoutait les anciens ennemis de son royaume : les sudistes héracliates ou les nordiques des montagnes. Ces derniers recrutés aux Glaciers, arboraient des fourrures en peaux de bête les protégeant d'un froid inexistant. Installés sur les banquettes d'une longue table en bois, une femme trapue et un homme grisonnant observaient la scène en silence à la lueur des flammes, le regard sévère teinté d'ironie. Ils avalaient de larges rasades d'un vin épicé. Qui ne paraissait pas épicé du tout, d'ailleurs ! Garm détourna les yeux et tenta de rejoindre les loges en évitant de se faire remarquer. Perdu.

- Regardez ! Garm le sait, lui ! l'interpella la Brute en maintenant le sous-fifre par les cheveux. Un vrai soldat, c'est quoi ? C'est celui qui se fait enculer !

De nouveaux éclats de rire couvrirent la réponse de la victime. Garm jugea inutile de répliquer. La nuit et la fatigue le poussaient vers les dortoirs. Une fois à l'intérieur, il déposa ses armes et sa légère cuirasse dans le coffre le long du large couloir plongé dans la pénombre.

Enfin seul, il profita du calme et s'affala sur un banc. Un claquement de porte capta son attention. Cela venait du fond, de l'espace de détente. Il s'y dirigea, déplaça deux torches pour s'éclairer. Un autre soldat apparut. L'inconnu se tenait devant des pièces disposées sur une table transformée en jeu d'échecs encore intact.

D'un geste de la main, l'homme invita Garm à prendre position. Une partie ? Pourquoi pas. L'entraînement avec Ymir avait épuisé les muscles du corps. Ceux de l'esprit restaient disponibles. En silence, il accepta le défi après avoir accroché les flambeaux dans les socles vides aux pieds du mur gauche.

Son adversaire le dévisageait comme pour l'évaluer ou l'affaiblir avant de commencer. Garm jeta un œil sur le jeu. Quand il leva la tête, un doigt pointait vers sa joue. Le joueur d'échecs se pencha révélant ses traits creusés par le manque de sommeil.

- Tu as une cicatrice, ici. Ce n'est pas une blessure. C'est un U dessiné à la lame comme sur la joue d'Ymir. Pourquoi ?

- Je suis son frère.

- On dirait pas. Tu ne réponds pas à ma question.

L'individu l'agaçait déjà. Garm répliqua en bougeant un pion noir, situé à l'extrême gauche de plateau. Son adversaire riposta. Au bout d'une dizaine de coups enchaînés avec fluidité, la suite méritait réflexion. Deux minutes s'écoulèrent. Impatient, le joueur murmura d'une voix enrouée.

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