1.2 - Crissements de craie

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Nous étions rentrées à la maison depuis plusieurs heures. Un taxi ambulancier nous avait ramenées après de longues minutes de préventions sur les violences conjugales de la part d'un psychologue. Je m'étais précipitée dans ma chambre en saluant brièvement Carlos au passage. Lui aussi avait l'air exténué, contrairement à d'habitude. Parfois je me demandait s'il perdait aussi la mémoire, le sommeil, s'il perdait simplement le contrôle de lui-même, comme moi.

Chaque fois que je me réveillais sans même me souvenir de ce qu'il s'était passé, toute la maison semblait elle aussi plongée dans l'oubli et la peur de ce qu'il avait bien pu se passer. C'est comme si personne ne savait, comme si personne ne parvenait à contrôler ce qui nous causait toute cette souffrance. Parfois je remettais en doute le rôle de ces sentiments dévastateurs dans tout ça, et puis la vie continuait comme si de rien n'était. Du moins presque. Les mains tremblaient un peu plus qu'avant, les cœurs battaient plus vite. La peur avait tout simplement pris beaucoup plus de place qu'auparavant, et j'étais certaine qu'elle continuerait encore et encore à envahir notre quotidien.

J'étais assise dans mon lit, un bouquin sur les genoux tandis que ma mère me regardait. Elle était installée à mes pieds depuis une heure, et ne m'avait toujours pas dégoisé un mot. Son regard était un peu moins vide, mais elle semblait toujours aussi choquée. Elle massait doucement le plâtre qui était enroulé autour de son poignet.

Les minutes s'égrenaient lentement. Nous évitions chacune le regard de l'autre alors que nous étions assises face à face. Elle finit par inspirer profondément avant de se décider à briser enfin le silence pesant qui remplissait la pièce.

- Nous allons accueillir de nouveaux enfants au refuge et la correspondante internationale chargée de diffuser l'entreprise vient d'arriver. - m'informa-t-elle d'une voix tremblante. Je ne l'avais jamais vue dans un état pareil, même si les occasions ne maquaient pas. Voilà ce que l'on gagnait à tenter de rester forte beaucoup trop longtemps. Elle marqua une pause avant de reprendre. -J'aurais besoin de ton aide pour gérer tout ça, est-ce que tu pourrais passer au bureau de temps en temps après l'école ?

- Oui, bien-sûr. Je pourrais m'occuper des entrées en préparant les chambres.

Elle me sourit, visiblement soulagée de ma réponse. Ma mère travaillait dur pour l'association qu'elle avait fondée à ma naissance. Tout était difficile au départ mais elle s'était acharnée, et maintenant ses efforts lui rapportaient beaucoup, puisqu'elle était sur le point de fonder une véritable entreprise.

- D'ailleurs, reprit-elle, cette femme a plusieurs enfants, ils ont déménagé à quelques blocs de chez nous. – C'était certainement eux dans la rubrique emménagement du journal- Tu pourrais peut-être leur ramener un panier garni pour leur souhaiter la bienvenue. – Elle me sourit- Ce serait un bon moyen de faire connaissance et de laisser une bonne impression.

Je lui rendis son sourire en acquiesçant. Qui sait ? Ce serait peut-être une bonne idée. Elle se leva doucement et se dirigea vers la porte.

- Je te laisse te reposer ma puce et n'oublie pas de manger ton dîner.

Elle sortit de la pièce en refermant la porte derrière elle. Je ne bougeais pas, guettant le bruit de ses pas dans les escaliers. Puis, je l'entendis discuter avec Carlos sans vraiment distinguer de quoi ils parlaient. Des éclats de rire me parvinrent ce qui me fit automatiquement lever les yeux au ciel. N'importe quoi.

Je jetai un coup d'œil vers le repas que ma mère m'avait monté quelques minutes auparavant. Mon estomac se crispa aussitôt, je ne pourrais rien avaler pour ce soir. Je décidai de repousser le plateau.

J'attrapai mon téléphone sur la table de nuit. Aucun nouveau message. Tiens, ça ne m'étonnait pas. J'ouvris Facebook et parcourus rapidement l'application afin de voir ce qu'il se passait du côté de mes camarades. 0 demandes d'amis. 0 messages. 3 notifications. Visiblement le nouveau faisait déjà des ravages même s'il n'arriverait au lycée que le lendemain. L'attitude des filles vis-à-vis de lui était totalement pathétique, c'était comme si elles n'avaient jamais rencontré de garçon.

Je m'interdis de consulter son profil malgré ma curiosité. Je verrais bien demain. De toute manière ce garçon ne s'intéresserait pas à moi, et réciproquement. Il se ferait bientôt retourner le cerveau et ne penserait même pas à m'approcher. C'était tout le temps comme ça.

J'ouvris mes notifications : 3 identifications sur des publications dégradantes pleines de moqueries et d'insultes. Je décidai de passer outre en bloquant ces publications. Voilà ! Hors de ma vue ! Qu'ils s'amusent avec ça s'ils le voulaient, en tout cas je ne répondrai pas à leurs provocations.

J'éteignis mon téléphone et le lançai à l'autre bout de mon lit. J'en avais assez vu pour aujourd'hui ! Je me levai et me dirigeai vers la fenêtre grande ouverte. Pour un dimanche soir de février la température était plutôt agréable. Je passai ma tête dehors et regardai le ciel. La ville était plongée dans l'obscurité, seules les habitations éclairaient la vue que j'avais depuis ma chambre.

Les étoiles n'étaient pas visibles dans le ciel ce soir. Tu n'es pas obligée de le faire Jahne. Je me répétais cette petite phrase en boucle pour me dissuader de céder à cette terrible tentation qui m'opprimait. J'avais un jour promis à quelqu'un de ne pas souffrir tant que les étoiles étaient visibles dans le ciel, or ce soir je pouvais me le permettre.

Je me dirigeai instinctivement vers ma table de chevet et commençai à fouiller avec empressement dans le tiroir du haut. Mes mains tremblaient comme celles d'un toxicomane en manque de sa drogue favorite. Mon pouls s'accéléra. Je finis par tomber sur l'objet de ma quête : 2 exemplaires différents de The Lying Game, mon livre préféré. Je m'assis en tailleur sur mon lit et ouvris le plus vieil exemplaire. Les pages étaient découpées afin de dissimuler une enveloppe marron.

Je cherchai à tâtons sous mon oreiller un petit carnet en cuir, une sorte de journal intime. Je le feuilletai avec empressement tout en lisant les passages relatifs à des journées bien précises. Puis, j'attrapai l'enveloppe et déversai son contenu sur mon lit. Des centaines de petits papiers virevoltaient avant de retomber sur mon épaisse couverture. Des centaines de petits mots remplis d'insultes et de propos dérangeants. Des centaines de pièces de puzzle à rassembler pour réaliser ce que l'on avait fait de moi.

Voilà ce que j'étais devenue : une pauvre fille faite de mots déchirants. Je ne me contrôlais plus, et c'était pour cette raison que j'avais fait c'est promesse. Je ne pouvais pas me permettre d'extérioriser ma souffrance tous les jours car elle était bien trop grande. J'en mourrais et quand bien même la situation était insoutenable, ce n'était pas une solution envisageable.

Ces papiers étaient assez révélateurs en fait. J'étais responsable de tout cela. J'ouvris le deuxième exemplaire de The Lying Game et commençai à le secouer dans tous les sens. Un petit objet finit par tomber à son tour sur mon lit. Je saisis le métal froid et tranchant de cet objet qui m'entaillai les doigts, me permettant déjà de m'enivrer de cette liberté que je m'accordais.

Ce soir, j'écrirai une nouvelle entrée sur les fines pages de mon carnet. Ce soir, j'inscrirais le 40ème jour où je n'avais pas vu les étoiles.

#40 Et les larmes coulent, coule mon sang. Coulent ma peine et tout le désastre de ma vie. Mais disparaitront-ils vraiment ?

Tu es mon étoile - JinyoungOù les histoires vivent. Découvrez maintenant