La théorie du vide

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J'avais très chaud, mon corps ne supportait plus cette vague de chaleur abondante. Je transpirais. J'essayais de me dire que la transpiration était la climatisation de notre corps, qu'elle régulait la température. Une paupière se souleva, puis deux. L'environnement étrangement coloré fut flou durant deux secondes puis une vision correcte me revint. L'infirmerie du collège était excessivement décorée et colorée, à l'inverse des salles de classe, et ça me plaisait. Je ne voyais pas l'infirmière. Je jetais un rapide coup d'oeil à l'horloge en face de moi. Il était déjà seize heures. Au moins je n'avais pas eu à aller en cours cet après-midi. Après m'être évanouie je n'allais pas pouvoir assister au dernier cours de la journée qui commençait dans trente minutes. Ce si précieux temps, contenu dans le sablier de la vie, coulait entre mes doigts. Tout le monde a un jour souhaité qu'un mauvais moment passe plus vite qu'il ne le devrait. Mais à l'instant, personne ne pense au fait que la vie est trop courte pour être vécue. Tout de même, c'est drôle un humain. Il crée des choses qui n'ont pas lieu d'être. Le temps, justement. Si le temps n'existait pas il aurait trouvé une pièce de rechange. Je n'arrivais même pas à trouver à quoi pourrait ressembler notre quotidien dans cette société sans le temps. La société aussi est une invention. Tout est inventé si ça se trouve. Tout est peut-être mensonge et trahison, les concepts même du mensonge et de la trahison étant eux-mêmes des inventions. Non, impossible. J'arrivais tout de même à distinguer les rêves de la réalité. Il fallait garder les pieds sur Terre, à regrets.

Mon sac bleu ciel sur le dos, je marchais en direction de la voiture de ma mère qui avait dû s'absenter de son travail pour venir me chercher. Elle travaillait dans une entreprise automobile. Elle m'expliqua qu'elle avait quitté sa réunion en urgence pour venir me chercher étant donné qu'un malaise n'était pas rien. Je n'osais pas lui répondre que ce n'était pas grave, que j'allais bien. Elle ne comprendrait probablement pas mais je ne voulais pas lui attirer des ennuis pour si peu. Je pouvais me débrouiller seule, je l'avais toujours été. Et on me dit que je ne suis pas autonome?

Le ciel était du même bleu que mon sac. Celui que l'on voit quand il fait beau et qu'il n'y a presque aucun nuage. Je préférais qu'il y ai des nuages pour imaginer des créatures à partir de ces formes de coton, bien que ce ne soit que temporaire. Bien entendu tout le monde a déjà fait ça plusieurs fois dans sa vie, celle qui est plutôt proche de l'enfance car quand on est adulte on arrête sûrement de rêver. C'était la mort de l'enfance, probablement la vraie et pire mort qui puisse exister. Celle que je redoutais. Et pourtant j'avais envie d'être adulte. Je ne comprenais vraiment pas mon propre raisonnement. Les adultes devaient avoir envie de redevenir enfants parfois, comme moi alors que je ne suis qu'une adolescente. L'enfance n'était pas totalement morte contrairement à ce que d'autres voulaient faire croire. Je pensais notamment aux filles qui aimaient porter un bon paquet de maquillage, un sac à main et des marques pour faire "plus grandes". C'est drôle, elles me faisaient penser aux enfants de trois ans qui imitent leurs parents. Les jeux d'imitation aidaient les petits à se construire tout comme ils aidaient quelques adolescentes à se donner un genre. On voyait bien qu'elles n'étaient pas encore matures car c'est ce qui les trahisait, quand on est adulte notre vie ne tourne pas autour de la popularité. Et pour ce qui était d'attirer l'attention, il fallait avoir un quotient intellectuel inférieur à la moyenne, autrement dit être aussi stupide que Nabilla et compagnie. C'était triste de se dire que beaucoup de jeunes étaient aussi stupides qu'elle. Je luttais contre ces gens là qui considèrent que ceux dits "non-populaires" devaient être ignorés, souvent ceux qui étaient différents. J'en faisais partie.

Je rêvais de la campagne et de voyage. D'une autre vie et de beaux paysages. D'un endroit où être libre, loin des banlieues parisiennes et des gens superficiels. De cet endroit où je pourrais être moi-même. Où l'on m'accepterait malgré ma différence et mes poèmes sortis tout droits de rêves, ou peut-être l'inverse. Je ne l'avais toujours pas trouvée, cette perle rare qui pensait comme moi. Celle qui aurait été mon amie, un long fleuve tranquille coulant dans mon âme. Une personne qui apporterait un peu de joie et plus de poésie à une vie qui en manque. Quand on y pense, c'était ce que cherchaient les drogués. Ils cherchaient à ressentir les choses plus intensément, des émotions joyeuses et euphoriques. Mais l'euphorie n'était pas toujours bonne comme le savaient les bipolaires. Il fallait parfois savoir patienter et coller petit à petit les morceaux du puzzle d'une joie trop recherchée. Un jour cette personne viendra et je le savais. Tout comme je savais que cette personne pouvait partir en quelques secondes.

Alors c'était ça, la vie? Des relations? Oui, c'est que je pensais. Seulement on ne devait pas faire que ça. Il y avait aussi le travail dont je ne voyais pas l'intérêt. Après tout c'était juste pour combler le vide. Il fut vrai que les Hommes s'ennuyaient avant de travailler. Mais peut-être travaillaient ils dès leur création? Oui sans doute. Je réfléchissait vraiment beaucoup trop, on me l'avait déjà fait remarqué. Comment faisaient les gens normaux pour ne pas tant penser, tant rêver? Je ne savais pas. J'étais très différente, c'est tout.

Un jour peut-êtreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant