L'envol des oiseaux

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Le beau soleil d'hiver m'aveugla. Mes yeux d'un vert clair ne m'aidaient pas vraiment. Je ne voulais pas sortir de ma chambre. Aujourd'hui je voulais dormir et vivre à travers mes rêves. J'avais de la chance, je me souvenais souvent des rêves que je faisais la nuit. Dans mon sommeil je croyais souvent que je retrouvais ma campagne et la mer, que j'avais un chat et quelqu'un pour veiller sur moi. Je pensais que j'avais une véritable amitié de construite, que je pouvais m'envoler comme un oiseau. J'avais déjà imaginé que les oiseaux étaient les âmes des personnes décédées qui s'envolaient à travers le ciel pour veiller sur le monde et la vie. Ces âmes matérialisées n'étaient pas toutes égarées, certaines se souvenaient sur quel être veiller. Elles se rappelaient sûrement aussi qu'elles voulaient simplement voyager et découvrir la réalité du monde, sans subir les restrictions humaines. Mais surtout ces âmes avaient des ailes, comme les anges.

J'allumais mon ordinateur portable. Sur quoi allais-je bien tomber aujourd'hui comme stupidités? J'espérais que j'allais enfin trouver quelque chose d'intéressant sur internet. Il y avait le fameux site pour partager et visionner des vidéos, YouTube. Je n'y allais que rarement mais j'aimais découvrir de la musique dessus. Après tout les chansons étaient des poèmes mis en musique au départ. C'était tout de même un texte harmonisé parfois par une douce mélodie. Malheureusement les musiques de jeunes les plus populaires étaient souvent dépourvues de bon sens et les chansons (texte et musique compris) n'avaient rien d'excellent. Ils voulaient tous faire pareil. Ils étaient emprisonnés dans une cage et ils se servaient de ce qu'ils pouvaient pour paraître plus beaux, plus forts, plus intéressants de façon à prendre le plus de place possible. Cette cage était la société et ce pronom personnel désignait les jeunes.

J'écoutais les musiques qui me plaisaient quand soudain, au bout de quelques minutes de défilement automatique, je tombais sur une musique particulièrement parlante pour moi. Cette musique n'avait pas une musicalité exceptionnelle certes mais elle parlait de mon dernier rêve. La chanson était "Sleep on the floor" du groupe The Lumineers. Puis une autre chanson défilait, du même groupe, dans le même style. Elle parlait d'une femme et de sa vie. C'est alors que je découvrit qu'il y avait toute une série de vidéo clips des chansons qu'ils avaient faites: "Cleopatra", "Ophelia", "Angela", "Stubborn love".
Je voulais pleurer, toutes ces chansons racontaient l'histoire d'une seule femme, on le voyait à travers les vidéos. Elle avait plusieurs possibilités de choix dans sa vie et on assistait à ce qui se serait passé si elle avait choisi la deuxième option, la meilleure.

Un road trip était une bonne idée, mais pas à mon âge, je ne savais même pas conduire. Et si je fuyais? Je n'avais pas assez de courage pour ça. Je risquais de me faire enlever, voire pire. Ce serait trop compliqué de se débrouiller seule. Mais je voulais partir. Cette idée m'obsédait. Je regardais même au loin par la fenêtre en classe. Je ne voulais pas partir : je voulais fuir.

De la buée recouvrait la fenêtre de ma chambre, je ne voyais alors plus l'extérieur. Je me levais impulsivement et essuyais la vitre à l'aide de la manche de mon sweat bordeaux. Dehors il pleuvait, ce qui me fit penser à une citation que je pourrais écrire dans mon carnet. Les gouttes de pluie dansaient une valse endiablée dans les airs en virevoltant, brillantes de quelques fins rayons solaires que les nuages laissaient aimablement passer. Certaines achevaient leur danse contre ma fenêtre, ruisselantes d'épuisement après avoir découvert une courte mais belle existence. Je saisis mon carnet et y griffonais le plus rapidement possible les phrases jaillissant de mon esprit. Les mots s'envolaient tel l'oiseau sur la couverture et celui que je fus dans mes rêves pour délicatement se poser sur les fines lignes tracées au préalable à l'intérieur de chaque page blanche par une machine robotisée qui, si elle avait une conscience, se rendrait compte du travail pénible et répétitif qu'elle exécutait à longueur de journées. Mieux valait que les robots n'aient pas de conscience qui leur permettrait de s'en rendre compte.

Le soir ma mère reçu une lettre en provenance de mon établissement. Verdict de fin de trimestre: avertissement de travail et de résultats. La femme qui m'avait mise au monde explosa, furieuse de ce qu'elle venait de découvrir. Je finis par monter dans ma chambre, mon éternel lieu de vie. Je n'avais plus le droit de rêvasser ou me balader dans la rue jusqu'à nouvel ordre. Lorsqu'elle vint me prévenir du dîner, ma mère ouvrit la porte pendant que j'écrivais mes citations. C'est ainsi que je n'avais jamais achevé la page. Celle-ci me prit mon carnet et me le confisqua. Je m'indignais: qu'allais-je faire si on me privait de tout ce que j'aimais? Je n'allais jamais pouvoir survivre et j'allais me démotiver davantage. Soudain, une idée me traversa l'esprit. Risquée mais possible. Je descendais manger en la gardant tout de même en tête aussi intéressante qu'étrange soit-elle.

Pendant que maman se préparait à recevoir quelqu'un après le dîner, je profitais de ses occupations pour me diriger dans sa chambre. Elle était bien entendue fermée à clé car celle-ci contenait mes affaires confisquées par une femme en colère. J'allais devoir retrouver la petite clé dorée et biscornue pour parvenir à mes fins. Je commençais par fouiller la salle de bains: aucune trace de ce que je cherchais. Je découvris en revanche des tests de grossesse dans la poubelle. Ce fut ensuite le tour des toilettes et je n'allais pas aller bien loin ici. La salle de jeux me semblait une bonne idée mais je ne trouvais rien par là, cela aurait été trop simple. Il n'y avait plus que le rez-de-chaussée à parcourir. Je decendis le plus discrètement possible, ce qui ne fut d'ailleurs pas bien compliqué grâce à ma corpulence fine voire trop. A l'inverse j'étais assez grande et mes cheveux mi-longs ondulés d'un blond doré pouvaient facilement me faire repérer. J'entendis du bruit venant de la cuisine, je me cachais derrière une partie du mur bleu ciel qui séparait le couloir de la cuisine. Je pû entendre des bribes de conversation entre ma mère et une femme que je ne connaissais pas. Elles parlaient de tout et de rien lorsque l'inconnue aborda un sujet plus intéréssant.

"-Quelle date vous conviendrait le mieux? dit la femme de sa voix grave en s'efforçant de parler avec gentillesse.

-Il prendra le temps qu'il lui faudra, je ne suis pas pressée, répondit ma mère.

-Il faudra mettre Hortense au courant qu'elle va avoir de la compagnie à la maison dorénavant.

-A vrai dire je n'en ai pas encore parlé à ma fille car je crains de l'effrayer, ajouta ma mère hésitante.

-Mais qu'attendez-vous pour le faire? Elle l'a sûrement déjà découvert, il serait même possible qu'Hortense nous entende parler, lança ironiquement la femme."

Je continuais mon chemin préférant ignorer la conversation à laquelle j'avais assisté. La console blanche de l'entrée qui se présentait à moi me fit de l'œil, c'est ainsi que je tirais doucement le premier tiroir, et trouvais un objet doré alors que j'avais perdu tout espoir. Je refermais le tout et m'éloignais discrètement jusqu'à la chambre de ma mère. Un cliquetis se fît entendre: la porte s'ouvrait. Je vis immédiatement mon carnet coloré posé sur le lit double. Je récupérais au passage mon téléphone portable et tout ce qui pourrait m'être utile pour parvenir à mes fins. L'heure du grand soir approchait, je devais me reposer pour ne pas tomber de fatigue. Je tirais mon sac à dos bleu de mon armoire et le remplit de toutes les choses dont je m'étais équipée puis le rangeais. J'éteignis la lumière et plongeais ainsi dans une obscurité peu rassurante, celle qui allait m'accompagner au long de cette courte nuit, l'inconnu. Après tout je n'avais pas à avoir peur car je n'avais déjà aucune de lumière dans cette cage si sombre.

Un jour peut-êtreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant