Elles s'étaient rencontrées sur les bancs du lycée. Lalice était une jeune fille un peu maladroite, pouvant se montrer timide devant un inconnu. A cette époque, elle soutenait un ami à devenir une femme. Finalement, c'était devenu une amie avec qui elle avait gardé contact. Face à la situation de cette personne, elle réfléchissait beaucoup à ses orientations sexuelles, romantiques, aux genres, qu'est-ce que tout cela signifie ? Elle explorait les sujets sérieux de la vie, la société, l'existence de l'humanité. Toutes ses pensées la hantaient tant qu'elle n'en dormait plus. Elle ne savait que faire de toutes ces idées, à qui en parler, à qui faire confiance. Elle doutait beaucoup des autres, étant elle-même témoin de la cruauté des humains face aux horreurs que subissait son camarade. Elle ressentait un besoin intense de partager ses émotions, ses doutes, ses réflexions si mûrement traitées dans des argumentations pas possibles, des dialogues avec elle-même. De plus, elle n'osait demander conseil, elle avait terriblement peur de déranger.
Chaeyoung était une fille très mature pour son âge. Elle savait avant tout écouter, plutôt réfléchie et calme, mais aimée de ses camarades pour l'aide qu'elle leur apportait. Il faut dire qu'elle était issue d'une famille sans problème, une vie particulièrement commune. C'est pourquoi elle avait ce besoin, et ce don, de se sentir utile envers autrui. On allait naturellement à sa rencontre lorsque l'on avait un souci. Elle ne refusait jamais, lorsque cela était sérieux et méritait un peu d'attention. Pour autant, elle n'avait pas un caractère facile et ne se laissait pas faire lorsque l'on croyait la tromper.
Ce contraste avait séduit Lalice. Elle était la première à être tombée amoureuse de l'autre. De par sa beauté, elle avait tout de suite compris ses sentiments, ce désir profond de l'effleurer du bout des doigts, d'être à ses côtés peu importe l'heure, peu importe les circonstances. Très vite, elle devenait folle de Chaeyoung. De par sa gentillesse, d'abord, elle répondait aux appels de la jeune fille. Et puis, son cœur s'en était mêlé. Des regards discrets, elle rougissait en pensant à elle. Elle était mignonne, belle, timide, gentille et douce. Elle devenait plus parfaite de jours en jours. Pour la première fois de sa courte existence, elle voulait faire le premier pas. Elle voulait faire bouger les choses, quitter le confort de la passivité. Agir, et ne plus subir. Faire quelque chose de nouveau dans ce quotidien si banal pour elle.
Cependant, Lalice avait été la première à avouer son amour. L'aînée était si déçue. Tous ces efforts pour changer. C'était si frustrant qu'elle avait songé à d'abord refuser. Mais ses sentiments ont été vainqueurs de cette lutte intérieur.Les années s'écoulaient paisiblement. Jusqu'à ce que la frustration reprenne le dessus. Elle lui avait hurlé que dorénavant ce serait elle qui prendrait les décisions. Elle n'en faisait qu'à sa tête et devenait plus insupportable de jour en jour. Mais Lalice doutait que cette frustration soit l'unique objet de sa colère. Puisqu'elle refusait que ce ne soit que par pur égoïsme, il devait y avoir autre chose. Elle connaissait son cœur, après tant d'années à ses côtés. Elle était de nature si généreuse.
Tout ce qu'on disait à son sujet n'était que mensonge. Ses amis ne pouvaient pas comprendre, ils ne vivaient pas dans le cocon. Des secrets brisaient leur bouche. Des sourires faussaient les murmures. Des portes qui claquent, et l'expression sur leur visage se contorsionnait. Elle ne serait pas revenue sinon. Lalice voulait y croire quitte à se briser les côtes à force de se tordre dans tous les sens. Au fond de son lit, elle inspirait à plein poumon l'odeur de la belle qu'elle imaginait encore présente dans les draps. Mais n'était-ce pas elle, qui se leurrait ? Elle y avait pensé, une fois, un soir d'hiver, quand le vent faisait trembler l'immeuble. Mais le matin, quand elle eût mis le nez dehors, un café à la main sur son balcon, il lui semblait que la beauté du lever du soleil cachait quelque chose de mystérieux, mais de terriblement beau.
Lalice avait enfilé son manteau, une écharpe recouvrant le bout de son nez, un sac sur le dos et la voilà qui descendait les marches de l'immeuble pour se rendre à son travail. Elle avait décidé de s'y rendre à pied, ce jour-là, malgré le froid. Elle avait besoin de se rafraichir les idées, alors elle avait renoncé aux transports en commun. Le pas élancé pour rattraper son retard, les mains dans les poches dans l'espoir de les réchauffer, elle avait traversé la route sans vérifier si une voiture croiserait son chemin. Un klaxon la réveilla de sa torpeur ; elle sursauta. L'appel d'air lui fit perdre l'équilibre, la jeune femme bascula sur le côté et c'est à ce moment qu'elle crût rencontrer ses profonds iris noirs sur la plage arrière du véhicule en question. Lorsqu'elle voulut mettre de l'ordre dans ses pensées, la voiture avait disparu dans le virage.
Toute la journée, elle songea à l'incident. Ses collègues la trouvaient dans les nuages, plus que d'habitude, en tout cas. Ils l'appelaient, une, deux, trois fois avant qu'elle ne réponde à leurs interrogations. Son supérieur, inquiet, l'avait renvoyé chez elle mais Lalice avait refusé poliment la proposition, qui était plus un ordre qu'autre chose. Cependant, elle n'en faisait qu'à sa tête. La jeune femme obnubilait déjà assez ses pensées comme cela. Hors de question qu'elle reste à tourner en rond chez elle pour mieux se perdre dans son trou noir.
Les premiers temps après le départ de Chaeyoung elle avait été arrêtée. On l'avait retrouvé allongé sur le carrelage froid de son salon. Elle n'avait pas bougé de là pendant des heures entières. Elle ne parlait plus, ne mangeait plus, ne dormait plus. Toutes ces heures passées, elle consommait leurs souvenirs comme une ultime échappatoire à ce cauchemar ridicule. De temps à autre, elle lâchait un soupir toujours très léger, presqu'inaudible. Toutefois, au fond d'elle, le chaos détruisait tout sur son passage. La glace la prenait à la gorge pour descendre geler son cœur, son estomac, des intestins pour ne faire de son corps qu'une statue de glace. On lui rendait visite, on essayait de lui redonner le sourire. Cependant, il leur semblait qu'elle n'avait jamais pu être heureuse. Le souvenir de son rictus, ses deux petites fossettes, tout cela avait gelé avec elle. Ce n'était qu'un corps sans âme qui vive à l'intérieur. Un corps hanté par des fragments la brisant progressivement.
La nuit dans les draps froids, elle sentait son souffle. Néanmoins, lorsqu'elle tendait le bras, seul le vide l'accueillait presque désolé. Elle entendait son rire dans son sommeil. Ensuite, il se teintait de cris effrayants. Des hurlements courraient dans le silence de l'appartement. Parfois, son fantôme posait sa main sur son épaule. Elle effleurait son épiderme du bout des doigts. Elle caressait sa bouche de ses lèvres douces. Mais, autour, il n'y avait que le vide qui l'embrassait pour recevoir ses plaintes. Dans des moments comme ceux-ci, elle s'arrachait les cordes vocales en appelant son nom. Toutefois, aucun son n'en sortait.
Le médecin de Lalice l'avait contacté dans l'après-midi. Il lui proposait des médicaments, juste pour la soulager. Mais elle n'était pas dupe. La solution, c'était d'oublier sa douleur. Les comprimés lui voleraient sa mémoire, la douceur de son toucher, les murmures de sa voix. Le médecin appelait cela des hallucinations. Mais la jeune femme ne voulait rien savoir. « Non, docteur, elle est là, je la sens, elle m'appelle. » Le regard inquiet du professionnel de santé en disait long sur l'état du patient. Cependant, elle n'était pas malade. « Elle va revenir, elle me le dit chaque nuit. C'est la promesse qu'elle a oublié de m'écrire sur son petit bout de papier. C'est vrai, docteur. »Et on la prenait pour une folle. Et elle ne savait plus s'ils avaient raison de le penser, ou non. Mais elle croyait en ses dires, en ses rêves, en ses mirages.
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𝗟𝗘𝗧 𝗠𝗘 𝗞𝗡𝗢𝗪, cɦɑelisɑ
FanfictionLalice scrute le ciel nocturne d'un regard absent. Elle n'était plus vraiment là, les soirs où sa belle promenait sa silhouette dans les rues de Séoul. Elle appelait son nom comme pour la faire revenir. Toutefois, la Lune restait indifférente face à...