-Chapitre 4-

1.7K 274 115
                                    

Plusieurs jours passèrent à l'image du premier. Senia se levait et accompagnait Veomian au palais de justice, où ils passaient tous deux la journée. La fillette se servait chaque matin dans la bibliothèque afin de trouver de quoi lire pour de longues heures. Elle s'ennuyait souvent, obligée de rester sur les bancs du palais. Si les passants l'avaient dévisagée les premiers jours, elle fit vite partie du décor. À tel point qu'elle put observer et dévisager sans restriction, sa nouvelle activité favorite depuis qu'elle avait accepté que les livres ne la sauveraient pas. Les allées et venues des Privilégiés, et parfois de quelques Poussières, lui faisaient imaginer le nombre d'enquêtes gérées dans ce bâtiment.

Elle voyait également des Sang-Pur. Ils se déplaçaient avec une grâce qu'elle enviait, et chacun de leurs mouvements était empreint de majesté. Ils ne demandaient jamais, ils commandaient. Certains semblaient travailler là : Senia voyait régulièrement cette femme à l'air sévère et aux cheveux argent plus fins que ceux d'une fée, habillée d'une superbe toge étoilée mettant en avant ses rondeurs délicates. Il y avait aussi ce petit homme rondouillard à la démarche pesante et aux doigts boudinés, couverts de bagues en or.

Veomian lui avait expliqué que la femme n'était autre que la Grande Juge, celle qui menait les procès les plus importants de la ville, et que l'homme occupait le plus haut rang de la police de la ville. Senia avait hoché la tête, comprenant que c'était là des gens très puissants. Mais, à ses yeux, tous les Sang-Pur étaient éminents.

Senia put aussi observer un curieux phénomène : lorsqu'ils arrivaient très tôt, ou repartaient très tard, elle pouvait voir des Poussières nettoyer furtivement et efficacement le palais de justice. Ils apparaissaient comme par magie lorsque les visiteurs désertaient le hall, et disparaissaient aussitôt qu'un Privilégié ou un Sang-Pur montrait le bout de son nez. Ils ne parlaient pas, ne faisaient aucun bruit et gardaient la tête baissée. Ils n'accordaient pas même un regard à la petite fille qui les regardait avec envie, se concentrant sur une tâche d'une importance cruciale : satisfaire leurs supérieurs. Travailler dans le quartier supérieur, pour servir des Privilégiés et même des Sang-Pur, était une chance inestimable, les plaçant parmi les Poussières les plus fortunés.

Alors que l'enquête piétinait depuis une semaine, Senia restait inlassablement sur son banc, attendant patiemment Veomian. Ce dernier finissait de plus en plus tard, et ce jour-là, le soleil avait depuis bien longtemps laissé place aux étoiles quand il sortit de son bureau. De grands cernes commençaient à manger son visage ciselé, et ce fut encore dans le silence qu'ils rentrèrent chez lui. Aesia les accueillit avec un regard de reproche, mais s'adoucit rapidement en voyant la mine atterrée de son mari. Ils parlèrent peu, et seulement de choses sans importance, jusqu'au moment où il fallut que Senia aille se coucher. Aesia lui embrassa tendrement le front et lui caressa la joue afin de lui souhaiter bonne nuit, un tic apparu deux jours plus tôt. La femme était devenue avenante et aimante avec la petite Poussière, qui le lui rendait bien, heureuse de partager des gestes affectueux. Des gestes qu'elle avait tant cherchés auprès de ses parents et qu'elle n'avait pourtant reçus que bien trop rarement...

Veomian avait arrêté de l'attacher à lui chaque soir, et même à dormir près d'elle. De toute manière, elle n'avait nulle part d'autre où aller et la maisonnée prenait de plus en plus un air de foyer dans son cœur. Elle s'y sentait bien, surtout depuis qu'Aesia se montrait tendre avec elle. Mais ce soir-là, seule sur les fauteuils qui lui servaient de lit, le sommeil la fuyait. Elle pouvait sentir l'atmosphère, épaisse et tendue. Senia se leva donc et s'approcha des escaliers avec la discrétion qui la caractérisait. Les deux adultes, après lui avoir souhaité bonne nuit, étaient montés à l'étage. Il ne fallait pas être devin pour comprendre que s'y trouvait leur chambre. La Poussière tendit l'oreille et finit par percevoir et comprendre quelques murmures.

La Cité des Sang-Pur [Publié] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant