Deuxième semaine

39 5 0
                                    

Nouvelle semaine .. Lundi 11 Juin 2018


6h23, [ I'm sorry × Kimberose ]

Devrais-je continuer à compter les jours ou passer en semaines ? Du moins, ce lundi annonce le début de la deuxième semaine, la fin de l'isolation avec la réapparition de mon portable ainsi que de grands changements, j'en suis convaincue. A commencer par une sympathique prise de sang dès l'aube.

Cette nuit j'ai réussi à dormir quelques heures de plus et je compte bien profiter de cette énergie supplémentaire pour mettre les bouchées doubles, surtout que ma journée s'annonce chargée. Est-ce possible de constamment avoir l'impression de manquer de temps et de toujours trouver des choses à faire alors même que le but de l'hospitalisation et d'être en clinique était de me créer le temps pour prendre soin de ma santé ? Mais j'ai besoin de cette variété d'activités et de tâches que je m'impose pur structurer ma journée, me motiver et lutter contre cette hyperactivité mentale et physique qui m'habite, même si le physique a eu tendance à se voir légèrement réduit contre mon gré. Bientôt, l'âme sportive pourra à nouveau se manifester et le corps suivra.

C'est donc après avoir relevé les stores et illuminé la grande pièce neutre qui me fait office de chambre que tout ce qui m'attend me saute à la figure et m'anime intérieurement d'une motivation nécessaire à ma survie ici, malgré les nuages qui tapissent le ciel. Au moins, mon épilation pourra être repoussée à une journée moins chargée. J'observe la valise débordante au sol, l'amoncellement de livres et de manuels en tout genre et le cabas qui n'attendent que d'être vidés. La principale mission est de donner une âme à cette pièce, car même si mon séjour n'excèdera pas les trois mois dans mes espérances, je dois vivre dans un environnement un brin chaleureux et accueillant. A ce long rangement s'ajoute le changement de draps, la pesée de 9h, les nombreux repas, la conférence de l'info nutrition à 13h30, le rendez-vous avez le psychiatre et les rituelles promenades avec Audrey, regroupements avec mes amis auxquels s'ajoute la visite d'Anthéa à 16h. Je comptais également commencer mon apprentissage de la guitare ainsi que la réalisation de dessins et l'écriture de lettres/pensées. Autant dire que mes révisions du baccalauréat sont en train de reculer bien loin dans mes plans. Cette journée sera de toute évidence déterminante quant à la manière dont je compte poursuivre ma guérison : la pesée annoncera la couleur, mais je compte bien démarrer la machine de guerre, tant pis pour la capacité physique de mon estomac. On provoque le changement, on ne l'attend pas.

...

Par ce lundi soir pluvieux, je peux maintenant assurer que non, la guérison ne va pas être aussi simple que je me l'étais imaginée. Cette journée a été riche en changements d'humeur et de nombreuses pensées se sont affrontées tout au long de ces heures bien remplies. Littéralement, je n'ai pas eu le temps de me poser et je ne peux même pas dire que j'ai fait la moitié de ce que je comptais entreprendre. La pesée ce matin a été très, très négative. En une semaine, j'ai perdu deux kilos et suis maintenant à 37.35, 13.8 d'IMC, éloignée de 16kg de mon billet de sortie. Je ne m'attendais pas à avoir pris, ou légèrement, mais alors de voir ce nombre aussi bas m'a laissé sur place. Et dire qu'il y a peu j'aurai jubilé d'avoir atteint un poids si bas, aujourd'hui il remet au contraire en question ma capacité à quitter la clinique pour la rentrée de septembre.

Est-ce que c'est au moins possible, envisageable de reprendre autant en si peu de temps ou est-ce que je m'accroche à un espoir vain, au-delà de la réalité ?

Ne serais-je pas actuellement plongée au milieu d'un bain de douces illusions pour me rassurer quant à la guérison ?

Car oui, la vérité est que derrière la bonne humeur et la détermination dont je m'affuble je suis terrorisée. Il n'y a pas de questions à se poser sachant que l'unique issue est la prise de ces kilos, mais il ne se passe pas un instant sans que la maladie tente de prendre le dessus sur la Raison, un petit démon perché au plus proche de mon cerveau et qui me crie incessamment ses ordres de restriction et me balance ses sanctions sous forme de culpabilité. L'enchainement aux rouages parfaitement graissés de la multitude d'activités que je m'impose est le seul moyen d'échapper au champ de bataille qu'est devenu mon esprit, de telle sorte que l'inactivité physique ou mentale est maintenant mon pire ennemi. Le rendez-vous avec le psychiatre a d'ailleurs confirmé mes craintes : la guérison sera longue et difficile, je dois revoir mes ambitions à la baisse. On revient au contrat de 500g par semaine pour l'instant tant que tous les aliments ne sont pas encore acceptés et réintégrés à mon régime. Si je veux espérer prendre du poids, il faut que je finisse mes plateaux, ajoute deux pains à chaque repas, deux beurres et confiture le matin, les biscuits aux collations et encore, cela me permettrait dans un premier temps de stabiliser. L'acide qui me brûle la gorge, la nausée menaçant mon système digestif depuis le petit déjeuner, l'incapacité de toucher aux crèmes, biscuits et toute chose sucrée, la force dictant mes jambes dans une marche interminable autour du parc et à travers les couloirs me ramènent rapidement à la lucidité : j'ai détruit mon corps au point de ne plus en être le maître, la volonté psychologique ne peut dépasser la capacité physiologique. Pour la première fois depuis longtemps, je vais devoir accepter de suivre mon corps et non de le contrôler. Alors en attendant, on se nourrit de compotes aux collations à défaut d'avoir de la place pour autre chose, et on aspire la nourriture la plus rassurante des plateaux en effaçant la mémoire dès le repas terminé.

Effet plumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant