L'adaptation est compliquée. Je fais régulièrement des crises d'angoisse, me sentant prisonnière dans cette maison,
j'ai du mal à respirer, j'étouffe. J'ai la sensation d'errer comme une coquille vide et que le monde avance, sans moi. Mes parents me surprotègent, me posent sans cesse des questions sur ma mémoire, me mettant une pression monstre.
J'ai l'impression de ne pas guérir assez vite à leurs yeux, comme s'ils souhaitaient passer rapidement à autre chose.Les jours sont interminables, se ressemblent tous : ne pas sortir de chez moi sauf pour mes rendez-vous psy à l'hôpital avec un de mes parents et être constamment surveillée, voilà mon quotidien.
Alors ce matin, je décide que cela doit changer. Je n'en peux plus de ce sentiment d'oppression. J'ai besoin de m'aérer, de me changer les idées.
Vêtue d'un jean et d'un débardeur noir, je me rends à la cuisine où je rejoins mon père qui sirote son café tout en regardant les informations à la télévision.
Il est de nature discret, calme et je ne le vois pas souvent, le mot exact serait plutôt jamais.
Son caractère est à l'opposé de celui de ma mère : un tempérament de feu et incapable de tenir en place. D'ailleurs, je me demande encore comment mes parents ont pu finir ensemble.Comme à chaque fois, il me salue d'un signe de tête avant de reporter son attention sur l'écran, sans attendre de réponse de ma part. Ne sachant pas quoi manger, je fais le tour de la cuisine moderne, inspecte les placards.
Seule la corbeille de fruits, posée sur l'îlot central, apporte une petite touche de couleur, je me jette de ce fait sur une pomme bien rouge. Puis m'installant en face de lui, je prends le temps de l'observer. Si je devais décrire mon père physiquement, je dirais que c'est un homme fatigué. Son visage est terne, cerné et pâle, ses mains sont abîmées par les produits toxiques qu'il utilise dans son garage. C'est un grand passionné de mécanique, il a monté sa propre affaire il y a plus de vingt ans et il y passe toujours autant de temps. Il préfère la compagnie des machines à celle des êtres humains.
Je réfléchis, encore et encore sur la méthode que je dois employer pour qu'il me fasse sortir d'ici. La seule fois où j'ai franchi la porte, j'ai eu droit à un sermon de ma mère, prétextant la peur que je me perde, mais j'avais bien remarqué sa façon de zieuter le voisinage.
Je lui fais honte ? Je n'ai pourtant rien voulu de tout ça. Alors je profite de la présence exceptionnelle de mon père, j'aurai sûrement plus de chance.
- Qu'a-tu prévu aujourd'hui ?
Il relève ses iris verts sur moi, fronçant les sourcils.
- Tu as une idée en tête pour me poser ce genre de question ?
Je hausse les épaules, jouant les innocentes. Mais son regard insistant me met mal à l'aise, prise d'un tic nerveux, je gratte la peau de ma pomme.
- Je me doute bien que c'est compliqué pour toi. Tu es comme ta mère, tu ne peux pas rester sans rien faire.
- J'ai surtout l'impression que tout le monde avance alors que moi, je stagne sur le départ. J'étouffe et être cloîtrée ici est une perte de temps.
- On te protège, Emilia, ne l'oublie pas.
- Me protéger de cette façon ne fera pas revenir mes souvenirs. J'essaye, je travaille dur pour me rappeler, mais rien ne se passe.
- Je ne sais pas si tu te sens prête après ce que tu as traversé, se soucie-t-il.
- Laisse-moi au moins essayer, le supplié-je.
Il souffle et réfléchit, se grattant le menton pendant que je le fixe. Je veux, non j'ai vraiment besoin de cette liberté. Je retiens ma respiration, priant pour son accord.
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FORGOTTEN (édité chez First Flight Editions)
RomanceQuand Emilia Smith se réveille dans un lit d'hôpital, elle nage en plein cauchemar. Elle ne se souvient de rien. Qui est-elle ? Que fait-elle ici et qui est la femme à son chevet ? La douleur physique n'est rien en comparaison au vide immense qu'est...