Vers le lieu où était prévu le « mbapatt », nous marchions ensemble, tout calmement et formions une petite foule d'une dizaine de personnes. Notre petit Samba n'était ni populaire, ni connu du grand public, ni des amateurs de lutte, ou des jeunes des quartiers environnants ; c'était notre samba à nous, le petit qui voulait pratiquer sa passion, même dans le secret, réaliser son rêve.
Arrivés au terrain dans un calme sans pareil, nous nous étions mis un peu à l'écart dans le but d'avoir un aperçu sur déroulement actuel de l'évènement, se mettre d'accord sur la stratégie à adopter et enfin choisir les sept personnes qui devraient accompagner le petit Samba.
En effet, les organisateurs avaient à l'aide de plusieurs bâches, créé une enceinte de forme circulaire occupant tout le terrain ou presque. Deux espaces avaient été aménagées entre les bâches faisant ainsi office de portes, l'une à l'extrémité gauche par où devrait passer les lutteurs, leurs accompagnateurs et les parrains de l'évènement, et l'autre à l'extrémité droite, réservée aux amateurs, spectateurs et supporteurs des lutteurs. Le billet d'entrée était fixé au prix de 500 francs et les gens qui s'étaient rués vers le terrain en très grand nombre pour venir assister au spectacle et soutenir leur « mbeur » formaient une file indienne de plus de cent mètres. Le reste de nos amis qui ne pouvaient donc pas entrer avec nous par la première porte allaient rejoindre le rang. Une chose était sûre, nous aurions au moins trois supporteurs aujourd'hui.
Apres avoir franchis la porte d'entrée avec notre lutteur, c'était le frisson total, on ne savait vraiment pas à quoi s'attendre, une première expérience que nous n'allions pas oublier de sitôt. L'ambiance était à son paroxysme. Les batteurs prestaient d'une manière remarquable et les griots les accompagnaient par des chants traditionnels galvaniseurs, procurant hargne et courage aux acteurs qui se défiaient mutuellement poitrine contre poitrine, muscles saillants couverts de gris-gris et de poudres, chacun promettant à l'autre de lui faire passer un mauvais quart d'heure, des provocations de toutes sortes pour essayer au mieux d'intimider son adversaire du jour. Les spectateurs très joyeux et ravis par le spectacle qui leur était offert, criaient et souriaient à chaque moindre fait. D'autres, dansaient et tapaient des mains au rythme des chants. Aucun amoureux de la lutte traditionnelle ne pouvait se retenir, le sang bouillait de partout.
Quelques minutes après, l'adversaire du petit Samba était arrivé. « Gaìndè Guedj » semblait confiant et serein, affichant le sourire, il était passé devant nous accompagné de ses amis aux allures de vrais lutteurs, les visages tout en sueurs aussi effrayants que redoutables, nous lançant un regard moqueur. Certainement parce que la peur se lisait sur nos visages, oui ! On avait tous peur, bien sûr ! On avait peur de ce qui pouvait se passer, peur de voir surgir Yaye Fatou ou Pa Aly Touré le bâton à la main, venir tuer leur fils, peur car c'était notre premier test. Une peur nullement liée à notre adversaire. Même si Samba était deux fois plus petit, peut être même trois fois plus petit que tous les lutteurs présents, son talent et sa passion pour ce sport étaient inestimables, il avait malgré son très jeune âge un mental de vainqueur et un cœur vaillant. La pression, nous l'avions jusqu'aux os, mais pas lui. Il était tel un enfant à la plage pour la première fois, dans les mains de papa, un enfant qui recevait son premier cadeau de la part du père noël.
De temps en temps, Samba se déplaçait accompagné de Mor et Sidibé pour se dégourdir les jambes et étirer ses muscles, ou plutôt ses os couverts de chair d'une épaisseur fine. Sidibé avait en sa possession trois œufs et une corne de brebis, Mor lui portait deux bouteilles d'eau de dix litres mélangées à de la poudre bleue, quant à Samba il tenait plusieurs gris-gris, ceux qu'il avait ramassé et gardait jalousement dans son sac d'écolier. Apres avoir longeaient ensemble les contours de l'aire de jeu formulant quelques prières, Samba cassa les œufs dans des endroits bien définis et indiqués par Sidibé, pendant ce temps, Mor lui aspergeait tout le corps d'eau. Tout un rituel que nous avions l'habitude de voir à la télé lors des grands combats.
Il était 19 heures, le soleil s'était couché, place au premier combat du jour. Samba et Gaindè furent appelés pour la présentation par les arbitres. Un moment particulier pour les accompagnateurs, coach et amis qui devaient maintenant laisser leur protégé tout seul face à son destin et à son adversaire. Notre rôle venait tout juste de s'achever, il ne restait plus qu'à suivre le combat envahit par un sentiment d'impuissance, priant que tout se passe bien pour lui et que la victoire soit nôtre.
La présentation terminée, arrivait le moment tant attendu. Les deux lutteurs se tenaient face à face au milieu de l'arène, l'arbitre entre eux, le sifflet dans la bouche.
Priiippp ! Le sifflet avait retenti. Les deux lutteurs se fixaient du regard, personne n'avançait sur l'autre, ils agitaient juste leurs bras l'air concentré. Tout le monde était silencieux, seuls les batteurs et les griots on entendait. A chaque mime réalisé par un des lutteurs, je faisais pareil, à la suite de chaque action tentée, je réalisais encore une fois le même geste, nous tremblions tous, les yeux rivés sur Samba. Plusieurs sentiments se bousculaient dans ma tête ; je pensais à Dieu, à la victoire, aux prières de maman, à la défaite, au retour chez nous, au lendemain du combat dans les places publiques, aux vipères du quartier... je n'en avais pas fini de penser quand Samba se jeta sur les pieds de son adversaire et finit par saisir sa jambe droite. C'était l'occasion idéale, une opportunité à ne pas manquer. Gaindè avait reculé son pied d'appui vers l'arrière essayant de projeter Samba par terre de toutes ses forces, mais en vain, notre lutteur s'était bien agrippé sur sa jambe. La peur avait fini par changer de camp. Tantôt j'entendais Mor criait à haute voix :
_ vas-y tu peux le faire !
Tantôt s'était des voix inconnues qui provenaient du côté des spectateurs :
_ Ne lâche pas petit !
_ « Plaquer ko » !
_ « Ya ko meune » !
Désespéré et sentant la défaite se profilait, Gaindè, comme dernier recours, mordit Samba à l'épaule pour qu'il lâche prise. C'était sans compter sur la détermination de celui-ci qui avait fini par l'arracher du sol à la surprise générale de tous les amateurs de lutte présents avant de le frapper contre terre. Nous exultions de joie et courions vers Samba sous l'applaudissement des spectateurs qui avaient apprécié cette prouesse réalisée par notre petit lutteur inconnu.
Samba avait non seulement gagné son tout premier combat de lutte traditionnelle, mais il avait aussi gagné quelques cœurs de plus.
Et voilà que nous rentrions tous au quartier animés par une joie indescriptible d'une part, et par un sentiment d'inquiétude d'autre part car nous devions trouver le moyen de ne pas nous faire remarquer et surtout ne pas nous faire surprendre par le père de Samba.
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Les Chroniques d'un Amateur de Lutte
Short Storydans un contexte où la lutte au Sénégal connait une période agitée après de beaux moments de gloire, un jeune amateur va décider de faire une analyse de la situation car conscient de la valeur de ce sport traditionnel mais aussi de son impact sur le...