Quelques jours après... un vendredi soir comme de coutume, soir des nuits longues pour nous qui vivions déjà le weekend revenant de sa longue pause avec impatience et réjouissance, je rencontrais le petit samba devant la boulangerie « Doux Pain » en quête du pain chaud de minuit dont raffolé tous les habitants des quartiers voisins, un quatrième repas journalier pas coûteux et qui servait d'accompagnement pour le thé des grands soirs ou le lait bouilli des nuits blanches.
Pendant que nous marchions ensemble vers la place populaire et tant convoitée de « Seynabou Nambè », gérante d'une gargote aux délices appréciés, il prit la parole :
_ Moussa, demain samedi les jeunes du quartier voisin organisent un « mbapat ».
C'est un événement très fréquent en banlieue dakhaaroise où est organisée une série de combats de lutte sans frappe opposant plusieurs jeunes de quartiers différents qui souvent n'ont pas soit l'âge pour intégrer le monde de la lutte avec frappe ou qui viennent pour se frotter aux autres champions populaires de la localité afin de relever un défi personnel. Une vrai arène traditionnelle d'apprentissage sans règles rédigées, ni institution aux manœuvres, seule la logique d'un combat traditionnel, la vigilance des organisateurs et parfois la malice d'un combattant qui n'as point froid aux yeux pour faire pencher la balance. Épreuve fatidique par où doit passer le futur champion dans le but de se faire un renom, une réputation des plus glorieuses.
Au fait, je ne me suis pas présenté, comme vous l'aurez sans doute compris, Moussa c'est moi, voisin, ami, conseillé et plus que frère du petit Samba. Jadis unis par les liens du voisinage, avec le temps qui s'en est allé à grande vitesse, on était devenu plus que jamais proche.
_ Yeah, Wa mais fils, qui t'as décroché ce combat ? Ce n'est pas un peu tôt pour toi ? Qui vas-tu affronter ? Es-tu vraiment prêt ? Et tes parents, sont-ils au courant ?
A m'entendre réciter cette multitude de questions on sentait cette inquiétude qui m'étouffait et m'envahissait à grand feu, plusieurs sentiments défilaient dans ma grosse tête... alors c'est dans l'élan de ma bouche entre ouverte qui n'avait avait pas terminé son récital que le petit Samba me coupa la parole et reprit la main.
_Doutes tu de moi ? De mes capacités ? Avait-il repris d'un ton surpris et déçu.
_ Nullement ! Avais-je répondu.
Seulement étant une première pour toi et conscient des risques encourus, bien que je sois très ravi, je ne pourrais m'empêcher d'être soucieux.
Avant de reprendre avec une mes questions précédentes : et tes parents... ?
_ Ils ne sont pas au courant. Me dit-il.
Puisque dans la semaine je pars à l'école comme tout enfant normal, ils ne soupçonnent rien de mes activités au-delà des heures de cours.
A vrai dire, c'était pareil pour tous les enfants du quartier « Geum sa Bopp », nos mamans étaient à longueur de journée prises entre les filets de la fatigue, les chants pénibles des casseroles pendant la vaisselle, les voix aiguës des vendeuses de poissons et légumes au marché, le linge épuisant des enfants qui revenaient des moments de jeux transformés en déchets humains, la cuisine entre autres tâches pour ces ménagères courbées et dévorées par le poids d'un travail de plus en plus ardent et épuisant, nos vieux eux étaient devenus soit des Athlètes à course d'endurance, de vitesse ou de relais, des chasseurs de dépenses journalières... une course avec le temps.
Voilà une routine qui ne laissait pas assez de temps aux parents pour l'éducation et la surveillance des enfants. D'ailleurs nous les plus grands ont avaient d'autres chats à fouetter, que ces petits se débrouillent.
Se débrouiller c'est ce que faisait le petit Samba, vivre sa passion, se fixer des objectifs et tout faire pour les atteindre malgré les obstacles devant lui, malgré les risques encourus et l'avenir incertain.
Je laissais très souvent échapper de mon visage un sourire rebelle à l'entendre agir et parler avec tant de détermination, de motivation et de hargne. Au moins lui il savait ce qu'il voulait et était prêt à combattre le monde, tout mon contraire. J'ai manqué de caractère dans ma tendre enfance si je peux m'exprimer ainsi. J'étais le meilleur footballeur du quartier « Geum sa Bopp » à mes 13 ans, un voisin proche, Sidy avait placé beaucoup d'espoir en moi. Il me conduisait chaque mercredi et chaque samedi à des tests de football que je réussissais les uns après les autres. Puis un beau jour, une institution de la place, gérée par une franchise française voulût me prendre dans ses rangs et m'invita à une rencontre un mercredi matin, enfin je me tenais juste devant la porte de mes rêves, un seul petit pas et je serai au paradis. Malheureusement, ce rêve fut brisé par le refus catégorique d'un père qui ne voulait pour aucune raison me voir rater quelques heures de cours ; comme de coutume dans mon pays les parents misent tout sur les études, des études fantômes aux mains vides, qui nous promettent tout et qui au final nous garantissent rien ; comme le veut la tradition quand un père prend une décision tout le monde s'y plie sans droit d'apporter son point de vu. Le plus drôle dans tout ce cirque c'est que tout le monde savait que je n'étais pas fait pour les études, peut être combinés au sport cela pouvait me motiver, mais hélas l'aubaine était passée devant mon nez, depuis je suis renvoyé de l'école et me débrouille entre « navètanes » et petits boulots.
Bref revenons à notre courageux et déterminé petit Samba.
Il était déjà samedi, le grand jour pour notre tout premier combat de lutte traditionnelle. Cependant, il fallait tout préparer avec une discrétion totale pour ne pas éveiller les soupçons de maman Fatou Sarr, et surtout des yeux curieux et des bouches reportrices du quartier.
Apres le repas de midi nous nous sommes donné rendez-vous chez moi. Mor et Sidibé chargés de préparer l'accoutrement de Samba l'avaient accompagné en venant, avant 15heures nous étions tous déjà sur les lieux.
Le petit Samba avait sorti de son sac d'écolier plusieurs gris-gris qu'il avait ramassés à la fin de plusieurs combats au Stade ou à l'arène Adrien Senghor. Il prenait toujours grand plaisir à nous raconter comment il s'était faufilé entres journalistes et gendarmes après chaque combat pour ensuite s'infiltrer dans l'enceinte de l'arène et ramasser soigneusement les gris-gris laissé tomber par les deux protagonistes du jour. C'est avec une précision remarquable qu'il reconnaissait chaque objet et pouvait lier ce dernier au lutteur qui l'avait perdu durant des échanges intensifs de coups et de prises lors des combats de luttes.
En plus des gris-gris collectés pour ressembler le plus possible aux grands lutteurs à la télé, Mor et Sidibé de leur côté avaient ramené par devers eux quelques plantes cueillies en chemin, deux sandales rouillées, une corne de brebis et cinq bouteilles d'eau mélangée à des feuilles de papier et une poudre bleue dans le but d'intimider notre adversaire, de paraître mystiquement solide et efficace.
Vers 17 heures, nous étions fin prêts pour le grand évènement organisé dans le terrain de jeu du quartier voisin. En quittant la maison, ma mère qui suivait toute la scène, l'air étonné s'approcha et nous demanda de nous arrêter un instant. Ayant imaginé ce qui se préparer en cachette dans sa maison, elle ne pouvait s'empêcher de formuler quelques prières pour le petit Samba qu'elle connaissait bien avant de lui donner une poignée de sel, un morceau de charbon à lancer par derrière une fois que nous serions dehors et un pot d'eau qu'il devait verser devant la porte de la maison avant de sortir. Quoi de plus motivant et de plus encourageant pour un novice ? La confiance après ce geste se lisait sur tous nos visages, une personne vaillante avait formulé des prières à l'encontre de notre petit lutteur, voilà une source indéniable d'espérance et de chance.
Et voilà que nous bravions fièrement la route vers le terrain d'à côté.
VOUS LISEZ
Les Chroniques d'un Amateur de Lutte
Cerita Pendekdans un contexte où la lutte au Sénégal connait une période agitée après de beaux moments de gloire, un jeune amateur va décider de faire une analyse de la situation car conscient de la valeur de ce sport traditionnel mais aussi de son impact sur le...